Les mois passent. Janvier, février (mon petit ami part à l'armée), mars, avril. Je tente de garder la tête hors de l'eau, de ne pas me laisser envahir par cette marée noire qui embrume mon esprit et noircit mon futur. J'essaie de me convaincre que demain, ça ira mieux. Mais le lendemain arrive, et je ne vais pas mieux. J'ai toujours l'impression d'un mur infranchissable devant moi. J'ai toujours le sentiment que de l'autre côté de ce mur, il y a la vie, il y a l'espoir. J'ai toujours cette sensation qu'il n'y a aucune porte à franchir, il faut que ce mur s'écroule, d'une façon ou d'une autre, pour me libérer de cette prison. Je parle de mur, parce que je vivais réellement les choses de cette façon. Un mur, immense devant moi, qui m'empêchait d'agir, de penser, d'espérer à un lendemain. Je me forçais à continuer à aller en cours. C'était l'année de la licence. Mais les cours devenaient de plus en plus difficiles. Je me souviens cette étau qui enserrait mon coeur lorsque l'amphi était bondé. Puis même lorsqu'il était à moitié vide. Et puis juste au début du cours, et enfin avant même d'avoir franchi la porte d'entrée. Je me souviens de ces maux de têtes qui me terrassaient, ses migraines qui embuaient mon cerveau dès que j'arrivais dans cet appartement qui me donnait la nausée, dans cette chambre où je me sentais si mal, avec des colocataires dont je me sentais si étrangère. Parler me demandait un effort. Et finalement être avec les autres devenait une souffrance. Irrémédiablement, je glissais dans un puits sans fond,. Le seul endroit où je me sentais en sécurité était ma chambre d'enfant. Je rentrais de plus en plus souvent chez mes parents, j'y restais de plus en plus longtemps. Je communiquais de moins en moins, m'enfermant sous prétexte de travailler mes exams, alors que je ne voulais que réduire mon espace. Je cherchais une solution pour casser ce mur d'angoisse qui me faisait face. Je pensais que la solution était en moi, que je devais décortiquer le moindre de mes actes, la moindre de mes pensées, me reconditionner, changer ma façon de penser et enfin trouver la solution. J'ai espéré quelques mois, et puis quand mon espace a été réduit au minimum, j'ai compris que j'avais perdu la bataille. Je n'ai plus eu la force, je n'ai plus eu envie. J'en étais arrivée à la conclusion que la vie n'était pas pour moi. Que ce mur, je ne pourrais le franchir qu'en me libérant de tout ce qui m'entourait. Jeter l'éponge, mais gagner la dernière bataille: mourir quand je le voudrais, me libérer le moment choisi. La solution était trouvée: le suicide. J'en étais convaincu, il fallait que je trouve le moyen , le moment, et surtout le courage. Pendant des semaines je me suis convaincue que je devais le faire, me traitant de lâche lorsque j'avais peur. Je n'arrivais pas à m'y résoudre parce que le courage me manquait. Ce que je cherchais, ce n'était pas de ne plus vivre, c'était de ne plus souffrir. Toute la différence était là. La mort comme solution à la souffrance, et non pas comme le désir de ne mettre un terme à ma vie. Et puis il y a eu cette lettre, celle qui m'a permis de passer à l'acte, celle qui me donnait un alibi. Celle qui me permettait de trouver LA raison valable pour ceux qui resteraient. Une lettre de rupture de mon ami. Tout était en place: le moment, la raison, le courage. J'avais accumulé quelques boites de somnifères et d'anxiolitiques, que m'avaient prescris les médecins successifs que j'avais été voir. Je n'ai même pas choisi le moment. C'est venu comme lorsqu'on à une envie pressante. Il fallait le faire, à ce moment là. Je suis allée dans ma chambre avec une bouteille d'eau. J'ai posé la lettre bien en évidence sur le lit et j'ai commencé à avaler les cachets, l'un après l'autre. A mesure, je me disais: "Ce n'est pas la solution! et je pleurais. Je me répétais: mais elle est où la solution? Je voulais juste trouver les mots pour dire que je suis mal dans cette vie, que tout ce qui m'entoure m'étouffe, me fait peur, que je ne veux pas vivre avec cette angoisse en permanence. Je voudrais hurler que quelqu'un quelque part m'entende et m'aide, me réconforte, m'aide à surmonter cette peur. Je pleurais, sur moi, sur cette incapacité à communiquer. Je ne voulais plus mourir. Je voulais juste que ça s'arrête! Mais je ne voulais pas revenir en arrière. Ce geste fou, il fallait le laisser aller à son terme. Il n'y avait pas d'autre choix. C'est la première fois que j'en parle. J'ai eu honte tellement longtemps après. Et puis j'ai passé des années à nier la gravité de mon geste. Comme si mon acte à moi ne devait pas être reconnu. Mon entourage a mis ce geste sur le compte d'une déception amoureuse. J'en ai été blessée, pendant longtemps. J'ai voulu un jour expliquer que ma souffrance était ailleurs, bien avant. Mais je n'ai pas su trouver les mots. Alors je me suis tue, et mon geste me paraissait presque ridicule dans ce contexte là.



On ne veut pas mourir. On appelle au secours. La balance penche à sa guise du côté de la vie, ou de la mort.