Nous voici à l'année 1964. Je vais devoir choisir parmi tous mes souvenirs. Entre 4 et 6 ans, il y en a tant. Je pense avoir vécu la meilleure partie de ma vie. Je vais sans doute faire de longs textes pour les 3 années à venir, mais ils seront à l'image de cette période de mon enfance: riche.

1964: J'ai 4 ans. Nouveau déménagement. Nous partons pour le Nayrac, un petit bourg situé à quelques dizaines de km de Laguiole. Nous allons vivre dans une ferme au nom prédestiné: Beauregard. A l'écart du village, le confort est spartiate. l'eau à l'extérieur, pas de salle de bain, wc à la turque au fond de la cour. Un palais aux milles souvenirs pour la petite fille timide que j'étais. Voici un de mes plus lumineux:

1964: Flika

Cet après-midi là, maman nous avait laissé au bon soin de la mémé.

Dès son départ, nous nous étions installées devant l’écran de télévision. On y diffusait un film pour enfant dont le personnage principal était un cheval surnommé Flika.

Nous aimions les histoires d’animaux et ne rations aucun épisode de Rintintin, ou de Skippy le kangourou.

Le film qui passait ce jour là racontait l’amitié d’un jeune garçon avec un magnifique pur-sang noir. Nous avions pleuré à chaudes larmes tout au long du film, notamment à la dernière scène. On y voyait les deux amis s’avancer dans l’océan, au coucher du soleil, juste avant que le mot FIN n’apparaisse sur l’écran en noir et blanc.

Devant mon chagrin, ma soeur avait, pour me rassurer, inventer une autre fin, imaginant le cheval déployant de superbes ailes couleur de feu et s’envolant vers le couchant, le jeune garçon s’agrippant à sa crinière.

Pendant que nous étions sous le charme de Flika, maman était partie à mobylette faire quelques courses au village voisin, distant d’une dizaine de kilomètre. C’était jour de foire et elle avait envie de se fondre dans la foule des grands jours.

Après avoir roulé plusieurs minutes, elle s’arrêta sur le bas-côté pour repositionner son panier d’osier sur le porte bagage. C’est à ce moment là qu’elle entendit un gémissement venant du bois en contrebas.

Maman laissa sa mobylette et sauta le fossé d’un bond. La plainte se fit plus proche. Elle descendit de quelques mètres encore, s’accrochant aux branches. C’est là qu’elle le découvrit. C’était un chiot, à peine âgé de quelques semaines. Il avait probablement été abandonné là par quelque personne peu scrupuleuse. Sans doute était-il là depuis peu car il paraissait en bonne santé.

Bien qu’attendrie par le petit chien, maman ne su que faire de cette découverte. Elle se laissa un temps de réflexion, fit demi-tour, se promettant de regarder, à son retour, si il était encore là, auquel cas, elle le ramènerait à la maison.

Lorsqu’elle repassa, deux heures plus tard, elle trouva le chiot au même endroit. Cette fois-ci, elle le prit dans ses bras et le glissa dans sa poche. Elle imaginait sans doute notre tête lorsque nous découvririons ce qu’elle cachait dans ses vêtements.

Ma soeur et moi finissions de goûter quand nous entendîmes le klaxon de la mobylette. Maman éteignit le moteur et nous appela :

_ “Les filles, venez vite, j’ai une surprise pour vous ! »

Nous nous précipitâmes à l’extérieur :

_ “Tu nous a acheté des gâteaux ? » demanda ma soeur .

_ “Non! Mais j’ai un cadeau pour vous, devinez ce que c’est ? ».

Nous eûmes beau nous creuser la tête, nous n’arrivions pas à savoir quelle était cette surprise. Soudain, une boule de poils sauta de la poche de la veste de laine et se précipita vers les poules qui picoraient dans la cour.

_ “Un chien “ !

C’est dans une cacophonie indescriptible que se termina l’après-midi. Le chiot courait après les poules qui voletaient dans tous les sens, effrayées. Moi, j' essayais d’attraper l’animal, ma soeur sur les talons !

Nous n'en revenions pas. Cela faisait si longtemps que nous avions envie d’avoir un chien, et enfin le rêve devenait réalité. Ma soeur attrapa le chiot avant moi et le prit dans ses bras. Le petit chien, nullement effrayé par ce qui lui arrivait, posa ses petites pattes sur son visage et se mit à la lécher, tout en frétillant la queue. Pendant que maman nous expliquait comment elle avait découvert le chiot, je m'approchais enfin de lui et le caressais, il était doux. Je l'aimais déjà tant.

_ “Comment il s’appelle?».

Maman répondit qu'elle ne le savait pas. Il n’avait pas de collier et avait été probablement abandonné.

_ "Il va falloir lui donner un nom" nous dit elle.

J'échangeais juste un regard avec ma soeur. Et c’est d’une seule voix que nous prononçâmes le nom de notre petit compagnon :

_ « Flika »

Ainsi Flika, le petit chien blanc tacheté de noir, entra dans la famille, un jour d’été, au milieu des cris de joie d’enfant et des caquètements de poules.