‎1952 : La mort en vrai.‎

Il ne sera pas question ici de longue philosophie sur le pourquoi du comment de la mort, tout a été dit, ‎je me suis moi-même attelé à cette tâche ailleurs ce qui ne t’intéressera pas, à juste titre car que dire en ‎un gîte à moins qu’on ne dise ? Il ne sera pas question de la mort d’un proche, d’un que l’enfant aime ‎ou n’aime pas, qu’on lui annonce d’un air grave, que l’enfant enregistre un peu perdu pendant dix ‎minutes puis la cavalcade reprend ; il ne sera pas question des morts en série, non plus des morts ‎d’hécatombes comme il en existait déjà, comme il en a toujours existé ce qui n’interdit pas de ‎continuer la lutte, camarade.‎

Je vais te parler d’une mort minuscule, la mienne.‎

Un truc idiot, une bactérie mal venue, une de ces minuscules bestioles pasteuriennes qui dérèglent la ‎machine à vivre et qui fait monter la fièvre pire qu’à El Pao. Je me souviens comme d’hier de cette ‎nuit-là.

Impossible de rester couché, impossible de tenir debout, l’air qui manque même penché à ‎moitié à la fenêtre surtout ne pas tomber en cherchant trop loin, tituber de long en large à l’étage des ‎enfants, le bébé est là-haut ne pas faire de bruit, ne pas déranger sinon avis de tempête côté Verbehaud, ‎me recoucher me relever, et pourtant ni nausées ni hoquets ni ventre mou, signes déplaisants de maladie ‎qui m’auraient rassurés, je me souviens de cette vie de mouche affolée dans le bocal, avoir soudain ‎peur du noir qui m’indifférait que pouvait-il se cacher dans tout ce noir enfumé, ne pas supporter la ‎lumière qui crève les yeux et voici qu’elle éclate, la lumière et que sur le palier se dresse en contre-jour ‎la silhouette de Verbehaud.‎

Oui monsieur la phrase est longue, les correcteurs orthographiques sont parfois lassants de perfectionnisme obstiné. J’aurais voulu ‎l’y voir le monsieur chatouilleux de la syntaxe, si le temps ne lui aurait pas paru long.‎

En vérité je mourrais dans l’indifférence générale empoisonné par mon propre sang, sans vouloir ‎déranger, et je me souviens de cette peur de déranger plus forte que tout le reste. Je sentais bien que la ‎situation n’était pas ordinaire, mais je me devais de vaincre seul la nuit noire, je devais triompher à ‎mains nues du bel ange qui rôdait autour, sous peine d’éternels reproches.‎