Une série de photos en noir et blanc prises par un photographe montre l'enfant et la mère se regardant dans les yeux et se souriant. Je ne savais pas que l'on pouvait sourire si jeune.

Cela prouve que j'ai souri à ma mère au moins une fois.

J'essaie de trouver une signification à cette photo et je cède à l'amertume. Décidons d'être positif. Elle a du être contente. Je devais l'être aussi, même si je préférerais dramatiser la situation et prétendre avoir deviné la catastrophe dès ma naissance. Mais il n'en n'est rien, je n'ai rien deviné et je souris à ma mère. Les médecins avaient dit qu'elle n'aurait pas d'enfants. Obéir, elle n'aime pas. Elle aura des enfants. Elle est née en même temps que moi, c'est-à-dire qu'est né ce jour-là ce qu'elle n'a ensuite plus jamais cessé d'être, une mère, car je ne peux la voir, hélas, que comme une mère, obsédée par sa maternité, par ses enfants, par son rapport à eux.

Elle m'a raconté que j'étais jolie.

Les gens l'arrêtaient dans la rue pour m'admirer.

Etait-ce l'époque ou une exagération?

Toute la famille s'arrête de vivre pour me regarder. Je vis dans un univers clos, rose, laineux, avec des rubans, des dentelles, du silence, des siestes durant lesquelles on chuchote, des réveils de princesse, des promenades lentes, hiératiques, en landau, dans les allées de la petite ville de la banlieue ouest où habitent mes parents. On s'occupe merveilleusement de moi. Je dors le temps qu'il faut, je mange les quantités appropriées, je me développe parfaitement.

Je ne devrais pas me plaindre.

Se peut-il qu'il y ait une faille dans tout ce rose, ce soin, cette attention, ces rubans et ces pompons?