Pour ce ricochet, j'ai décidé de présenter un texte que j'ai écrit il y a quelques années et qui se rapporte à un souvenir d'enfance. Avant d'écrire ce texte, je ne savais pas quel était mon rapport à l'écriture. Je ne savais pas que je pouvais écrire, ni que par l'écriture j'irai au plus profond de mes angoisses.

Ce texte c'est en quelque sorte un dialogue avec une colocataire indésirée: ma phobie sociale. J'aurais pu ne retranscrire ici que le souvenir qui a été à la base de ce texte, j'avais 8 ans à l'époque, mais je ne peux dissocier ce texte avec justement la prise de conscience de ma 1ère crise de panique, c'est pourquoi je mets ici le texte dans sa presque intégralité.

1968: J'ai 8 ans

D’aussi longtemps que mes souvenirs remontent, elle est là, tapie en moi, cette angoisse quasi-permanente, cette peur sournoise qui me ronge. PEUR ! Peur de tout, des autres, de moi, peur du regard de l’autre, d’abord celui du maître qui m’envoie au tableau pour réciter ma leçon; je la sais par cœur, je monte sur l’estrade, je me tourne face aux autres élèves et je commence à réciter, les mains croisées dans le dos. Je transpire. Je la sens qui m’envahit, cette peur. Il faut que j’aille jusqu’au bout, il le faut.

Mes mains ruissèlent, serrées dans mon dos. Elles sont de plus en plus moites. Une petite flaque s’est formée à mes pieds. Le maître le sait, maman lui a expliqué que j’ai un problème de transpiration excessive dû à un dérèglement des glandes surrénales. Aucun traitement n’en ait venu à bout. D’ailleurs, à la place du buvard, moi, j’ai de petits bouts de tissu éponge que je plie en deux et que je mets sous mes mains quand j’écris, ils sont roses, jaunes ou bleus. A chaque rentrée scolaire, il faut expliquer au maître puis répondre aux questions des nouveaux: pourquoi t’as ça ? :

“ C’est parce que....” parce que je suis différente, peut être parce que ces mains là, mes mains, elles ressortent toute la peur qui m’habite, c’est un ruisseau qui coule sans cesse, inépuisable. J’ai plus de quarante ans et le ruisseau ne s’est toujours pas tarit.

Je suis repartie à ma place avec une bonne note. Je savais ma leçon. J’ai laissé derrière moi, sur l’estrade, une petite flaque d’eau. Je ne vois qu’elle. Ils ne voient qu’elle. Je sais qu’ils se moquent en silence. Ils me regardent en coin. Peut être tout à l’heure, à la récréation, ils vont se moquer de moi. Je voudrais tant ne pas être là, peut être ne pas exister ?

J’ai huit ans et je comprends que cette petite flaque va me suivre toute ma vie.