lieu(x) d'habitation : Taverny (95) logements : petits pavillons en série

La 5ème est pour moi une année facile, dans mon souvenir 12 et 13 ans sont les âges auxquels on atteint une sorte de plénitude de ce qu'on est, avant de basculer vers une autre dimension de jeu autrement plus compliquée. Je bosse dur mais ça m'intéresse. Pour pouvoir lire le plus possible et aussi rejoindre les copains dehors, même si pour cause d'équipe de foot où ils ont pu s'inscrire et moi pas (parce que fille) nos matchs de rue se sont raréfiés, je m'organise comme une stakhanoviste dans mon travail scolaire, faisant tout à l'avance autant que ça peut et profitant de longues plages de loisir ensuite. Je progresse en musique aussi, même si les dictées musicales restent pour moi un mystère non élucidé. La gymnastique aussi me pose quelques problèmes, première apparition du fait que physiquement je suis un peu mal connectée. Danser me semble impossible. Je soupçonne le foot de me convenir de par sa définition même : il n'engage que les pieds. Coordonner mes gestes est quelque chose pour moi de très compliqué. Certaines combinaisons d'attitudes me sont inaccessibles telles que sauter et exécuter une roulade. Il est très perturbant de voir tous les camarades, y compris ceux et celles que le sport ennuie, capables de faire sans trop d'efforts certains gestes et d'être dans l'impossibilité d'en faire autant, malgré d'essayer encore et encore. Je récolte un 5/20 en sport au trimestre où l'on fait gymnastique, sauvée du zéro par la poutre où je me tiens bien. Ma mère demande à voir la prof qui est flattée et stupéfaite : aucun parent ne se soucie du sport et elle avait pris soin de préciser que c'était malgré de louables efforts.

Comme par ailleurs mon développement physique semble très en retard, sans que ça me tracasse outre mesure je commence à me demander de quelle (autre) planète je viens. Et puis je suis sans arrêt malade, l'hiver, enrhumée, fièvreuse, certains jours au bord du malaise. Le médecin parle d'anémie. Je prends des fortifiants sous forme d'ampoule. Ça ne change fichtre rien. J'apprends donc à faire avec.

D'autant que je n'aime pas manquer les cours. Avec mes camarades nous héritons comme profs d'une jolie brochette de débutants militants et motivés. Ils savent pourquoi ils enseignent en banlieue, d'autant que la nôtre est assez supportable : les parents sont peu friqués, mais leurs gosses en devenir et de bonne volonté. Par ailleurs l'allemand première langue puis le choix du latin posent dans des classes de bons éléments. Peu de splendides perturbateurs. Il m'arrive parfois de faire le clown, c'est plus fort que moi. Et une façon aussi de secouer la fatigue, qu'alors je n'identifie pas. Je crois alors que tout le monde la ressent comme moi.

À la bibliothèque du collège, je suis parvenue à négocier de n'avoir pas à respecter la division 6ème/5ème d'un côté, 4ème/3ème de l'autre. Je dévore en quelques mois, les "Signe de piste" sans l'ombre de la moindre idée que certains d'entre eux, mettant en scène d'héroïques scouts bien blancs bien blondinets, véhiculent une idéologie un tantinet rouillée. Qu'il s'agisse de Mik le Chat-Tigre (par Mik Fondal dont j'ignorais qu'il fût deux) ou du Prince Éric, je ne vois que le côté aventures sans avoir les parents sur le dos. J'oublie aussi de prendre conscience que le plus palpitant ne concerne encore et toujours que les garçons. Cela dit, dès l'année suivante ou celle d'après, ils me paraîtront "bébé".

Une de mes amies de classe, Christèle, se casse une jambe ou une cheville et je m'offre spontanément pour l'accompagner (1). J'apprends à cette occasion qu'un bienfait n'est jamais perdu : lui porter son sac qu'elle ne peut tenir pour cause de béquilles offre le privilège de monter en avance sur la sonnerie. Or les bousculades sont redoutables. Nous n'avons pas le droit de monter avant, ni celui d'être en retard. Si notre cours a lieu au 3ème étage, il faut une certaine condition physique pour parvenir en haut à temps, malgré la cohue. De plus les "grands" 3ème mettent un malin plaisir à bousculer les "petits" (2). Mon dévouement m'offre par ricochet une période de sérénité. La bousculade monstrueuse et quotidienne de la cantine nous est aussi épargnée.

Parmi les profs les plus motivés, se trouve monsieur Compain, notre prof de français et qui décide de nous faire écrire un livre collectif. Quand, des années après, j'ai retrouvé le volume, soigneusement relié par nos soins car il avait mis en place un partenariat avec la prof de travaux manuels qui nous avait enseigné temporairement cet art, j'ai été impressionnée par la bonne tenue de l'ensemble et la quantité de boulot que ça avait dû pour lui, représenter. À l'époque point d'ordinateurs ailleurs que dans les plus grandes entreprises. Il a donc dû tout taper à la machine. Sans parler du travail d'encadrement : malgré les nombreux participants, les personnages ont de la cohérence, l'intrigue se tient. Certains passages ont été écrits en collectifs, plein d'autres étaient des rédactions avec un objectif défini (dans ce chapitre il doit se passer telle et telle chose) et l'on votait après sur la version préférée. Plusieurs fois j'ai été mise de côté, sans que ça me pose de problème : je comprenais que chacun devait avoir son morceau. Le prof s'arrange pour me laisser le début et la fin. Ainsi que le dernier mot dans les discussions collectives. Passionnée par le projet, j'ai dû être très pénible à mes camarades en fait. Ça ne m'effleurait pas un seul instant que pour certains ces rédactions particulières devaient représenter une suprême corvée, tellement j'y prenais mon pied.

Le prof de musique, lui, nous fera faire un disque (mi-jazz, mi classique), auquel je participerai en jouant du xylophone : une de mes amies est déjà bonne pianiste, mon instrument d'étude est avec elle en de meilleures mains. Mais contrairement au livre relu, le résultat ré-entendu me fait rigoler. Il reste qu'ils étaient sacrément entreprenants, nos jeunes enseignants.

Je leur en suis reconnaissante. Mes parents s'entendaient de plus en plus mal, la vie à la maison n'était pas joyeuse et le collège était ce qui tenait mes jours. Ils m'accordaient une chance d'avenir, mais incapable de me projeter dans un moindre futur, je l'ignorais.

C'est en 5ème que je commence à tenir, de façon alors un brin épisodique, un carnet de bord. Assez peu intime (3), très axé sur les devoirs à faire, la présence ou non des copains de classe, la scolarité. Mais cependant. Apparaissent aussi mes première photos : par souci d'économie mon père les confie à un de ses collègues qui les développe chez lui, moyennant rétribution. Fatigue ou distraction, le collègue en saute certaines, que je découvrirai des années après en vérifiant les négatifs. En revanche, si l'une d'elle lui plaît, il n'hésitera pas à fournir en cadeau un bel agrandissement. Je dois à cet homme dont j'ignore le nom que mon père se soit un peu calmé dans ses reproches qu'il me faisait de "gaspiller", que mes photos coûtaient. Il avait dû lui dire, dis donc ta fille, avec son appareil elle sait se débrouiller. Mon père était fier. Moi tout ce que je voulais c'était que mes parents soient enfin heureux, au moins un peu, et qu'ils cessent de crier pour un oui pour un non. C'est sans doute cette année-là où j'ai commencée à me sentir l'adulte de mes parents. Et ça me rendait triste.







(1) Peut-être aussi est-ce cette année-là que j'ai été déléguée de classe ; désignée par les autres alors que je ne tenais pas à me présenter. C'est que j'osais parler aux profs, spécimen bizarre de bonne élève qui ne souhaitait pas fayoter.

(2) Ma sœur qui plus encore que moi sera au même âge un petit gabarit et n'aura pas su pas s'acoquiner avec les costauds qu'il faut, en fera les frais six ou sept ans après. Bousculée dans les escaliers à en tomber et s'abîmer un genou.

(3) Je crois que je crains des indiscrétions de ma mère ou ma petite sœur. L'idée est d'offrir un support à la mémoire et au travail à faire, comme pour naviguer (ce qu'alors j'ignore). Je trouve déjà que le temps file.