40 ans aujourd'hui, ça se fête.

J'ai découvert dans cette dernière année ce qui était là en filigrane depuis au moins vingt ans : je veux "faire œuvre", non pas pour laisser quelque chose à la postérité (on s'en fout, on est mort), mais pour moi-même, pour avoir l'impression de ne pas avoir été simplement le énième maillon de la chaîne de reproduction du grand primate dominant. C'est "grandiose et dérisoire", comme disait je ne sais plus qui.

Mais attention, je ne vais pas faire un Grand Œuvre : les seuls génies des arts m'ont l'air tous aussi malheureux les uns que les autres, les Baudelaire, les Van Gogh, les Franquin, les Mozart (oui parce que tu peux toujours dire que Mozart fait dans la simplicité, hé bien tente de faire au moins aussi bien, je t'attends ici et on en recause quand tu veux).

Peut-être que tout simplement quand on fait des choses qui dépassent le commun des mortels, on ne voit pas l'admiration des autres ; on ne voit que le chemin qu'on sent encore devant soi et qu'on est persuadé de ne jamais pouvoir parcourir jusqu'au bout, trop ardu et trop long.

Moi, voilà, c'est fait, merci : j'ai pris conscience (et accepté) ma normalité, ma banalité, ma mortalité. J'y trouve une place parfois reposante, souvent exaspérante, mais je commence à faire la paix avec la vie. J'ai encore peur de mourir, mais il paraît que ça passera.

Or cette dernière vingtaine j'ai décidé, à coups de méthode Coué plus ou moins assumée, de ne pas me résoudre à l'état semi-dépressif de tout un chacun (qu'on se l'avoue ou non). Pour commencer par des choses simples, une fois par jour faire quelque chose dont on soit content, même si ça reste "entre soi". Une phrase, par exemple. Une photo, floue et maladroite souvent, mais dont on connaît l'intention et qu'on se félicite d'avoir prise. Un renvoi en fond de court d'un collègue désagréable, mais uniquement si c'est fait avec élégance dans le verbe. On n'est heureux que quand on le décide.

Et puis enfin, faire un livre, celui qu'une fois encore je porte en germe depuis vingt ans sans avoir jamais eu le courage.

Finalement, je me laisse gagner par l'idée que tant qu'on a des projets, c'est qu'on est vivant.