Je vivais en province, en cours de séparation, invité à dormir à Paris.

Je rate une correspondance, j'arrive avec une heure de retard à la gare. Pour une raison ou pour une autre, impossible de prévenir.

La copine qui me prêtera un canapé ce soir m'attend au volant de sa voiture, dans le parking derrière la gare. Je ne sais même plus comment on s'est retrouvés : c'était avant l'ubiquité des téléphones portables.

Elle me dit qu'on est attendus chez "sa meilleure copine, presque sa sœur jumelle" pour l'apéro.

Nous arrivons, et l'interphone proteste : "ça fait une heure que je vous attends, en plus l'interphone est en panne, il faut que je descende cinq étages pour vous ouvrir". Il n'y a évidemment pas d'ascenseur, et je me sens de plus en plus mal.

Arrive alors une femme grande comme on s'imagine les mannequins, petite jupe droite en laine, pull cigarette noir, je suis décidément au plus mal. C'est le genre de fille à qui je ne peux pas décemment parler, trop bien, trop parfaite, trop parisienne pour le bouseux que je suis.

S'ensuit une soirée où, pour masquer la timidité incroyable que m'inspire une aussi impressionnante personne (parce qu'en plus elle est intelligente, cultivée, fait un métier dont je n'ai à l'époque entendu parler que dans les magazines), je fais l'imbécile, alignant bêtise sur bêtise comme je ne sais que trop le faire.

Ce soir-là je mange pour la première fois des fajitas, et évidemment je m'arrange pour me faire la pire de toutes les taches, sur un pull beige : le genre de tache rouge tomate, qui commence au col et finit à la ceinture, vous décore comme un plastron et vous humilie à vie.

Je ne sais pas, de tout ça, ce qu'elle a aimé.