Le premier hiver de ma vie aura été très rigoureux.

Ma mère nous garde au chaud et elle n'oubliera jamais cet hiver, sans aucun doute.

Un matin à la boulangerie, pas très loin de la maison, on lui laisse entendre que si je ne sors pas, c'est parce que je suis anormal.

(Nous qui vivons en 2010, nous ne pouvons pas nous rendre compte. Les années 70 sont les dernières où le poids du qu'en dira-t-on est si lourd qu'on le porte comme un joug, qu'on s'y soumet et qu'on est obligé de faire avec.)

Comment ça, anormal ?

La personne qui discute avec elle lui dit que oui, c'est votre belle-sœur qui nous l'a dit.

Vous avez bien lu : ma propre tante colporte ce genre d'ignominies.

Je n'ai évidemment aucun espèce de souvenir de la scène, mais ma mère l'a raconté tant de fois que je crois l'y voir. En furie, elle rentre chez nous, me couvre, et m'amène dans le landau jusqu'à la boulangerie : "Pas normal, mon fils ? Pas normal ?"

Des années plus tard, dans ma fratrie, nous surnommerons cette tante Folcoche ; va savoir pourquoi, on la trouvait méchante.