Il faut bien commencer un jour.

Je ne verrai rien de cette année, sinon quelques jours.

On profite juste de ma naissance pour découvrir une malformation aux yeux, ce qui me vaudra pendant trente ans de me croire maladroit alors que je n'ai pas le choix, je ne pourrai pendant toutes ces années que marcher sur des crottes de chien, buter sur des coins de portes, trébucher sur des bords de trottoirs, m'assommer sur des poteaux dans la rue. Le plus douloureux sera longtemps l'amour-propre, avant d'accepter qu'on n'y est pour rien.

Le pire je crois, c'est qu'un "grand spécialiste" de la Grande Ville où j'ai passé mes premières années se soit trompé de diagnostic dans les six mois qui ont suivi ma naissance, et que tous les ophtalmologistes après lui n'aient pas cru bon de vérifier ce qui était marqué noir sur blanc dans mon carnet de santé.

Trente-et-un ans plus tard, un ophtalmologiste, un seul, me dira la vérité.

"Attendez, vous n'avez pas de glaucome et vous n'en avez jamais eu. Vous voulez voir ce que c'est qu'un glaucome ?" Il me sort un livre médical plein de photos de cas concrets. C'est le Freaks du pauvre !

Je regarde, plus ou moins horrifié, et je comprends. Il ne faut jamais se fier aux spécialistes, toujours remettre en question leurs verdicts, surtout quand on est un autre spécialiste. Je l'ai noté, et plus jamais je ne l'oublierai.