lieux : Taverny (95)

logements : petits pavillons en série

L'année du CE2 sera une année grise, en demi-teinte à tous points de vue. Jusqu'alors et par la suite, j'aurais cette chance de n'avoir comme professeurs presque que des passionnés de leur métier. Des plus jeunes et des moins jeunes mais qui l'avaient choisi et que la vocation n'avait pas lâchés. Je dois beaucoup à certains d'entre eux. En revanche en CE2, me voilà dans la classe d'une dame très comme il faut, pas très subtile et qui accomplit sa tâche comme elle en ferait une autre, avec conscience professionnelle mais sans passion. De plus sa fille est dans notre classe ce qui crée des injustices et des tensions.

Enfin, si jusqu'alors j'ai toujours tout fait avec la plus grande facilité, je me heurte à ma première difficulté scolaire : le samedi matin il y a dictée. En ce temps là une faute c'est 2 points en moins sur 10 (ou 4 sur 20), en 5 bêtises on atteint l'infamie du 0. Or ça tombe qu'étourdie et hâtive, relire me pèse (déjà), je suis la reine des fautes d'inattention. Sans compter que l'orthographe d'usage et ses consonnes mystérieuses qu'on double parfois ou pas me laisse perplexe. J'ai la sensation d'une sorte de loterie animée par la fatalité. Contrairement à l'usage que mes enfants ont rencontré, les dictées ne sont préparées que pour certains mots clefs et pas toujours expliqués, simplement ça s'écrit comme ça et puis voilà.

Je rentre souvent avec un C à la maison (5/10), mon père est là puisque c'est le week-end, et comme mes parents sont toujours en quête d'un sujet pour s'écharper (1) (ce qu'à l'époque je suis trop petite pour analyser, je crois donc vraiment que c'est de ma faute, que ce manquement de ma part est grave), les déjeuners du samedi deviennent un calvaire. Ce sont des cris et des scènes entre eux à cause de moi, sur fond de C'est à cause de l'Italien (qu'ils s'acharnent pourtant à ne m'apprendre pas) et les voilà qui se déchirent parce que j'ai mal orienté un accent, oublié un "s", ajouté un "p" intempestif. J'aurais presque préféré me faire taper comme la plupart de mes copains quand ils ramènent une sale note. Ils se prennent une dégelée, ce qui à l'époque semble normal aux parents comme aux enfants, et puis après on n'en parle plus.

Cette institutrice sans enthousiasme ni humour, ne sait que faire d'une élève par ailleurs brillante mais indisciplinée, qui veut toujours comprendre "pourquoi", et a tendance à faire le clown pour faire rire ses camarades.

Enfin, ma petite sœur ayant grandi, ma mère a repris les accompagnements du midi et donc me voilà privée de la compagnie de mon cher Jean-François, des déjeuners dans une famille douce, d'un trajet réduit qui laisse plein de temps pour jouer en liberté. L'école est à un quart d'heure à pied de la maison et le midi il ne faut pas traîner. La mère de Jean-François L. nous laissait en toute liberté dès le repas achevé. Chez moi, je suis au contraire "sous contrôle" et sans que je sache comprendre ou formuler pourquoi ça me pèse.

S'ajoutent à ces trajets-là (mais pour ma mère aussi et ma sœur dans sa poussette, ce qui devait être pénible pour elles, surtout l'hiver), d'autres vers un centre de rééducation fonctionnelle. J'ai commis le crime infamant de naître les pieds plats et de me tenir mal (vague scoliose) et comme si les premiers pouvaient se corriger, me voilà astreinte deux soirs par semaine à toutes sortes d'exercices autant pénibles qu'inutiles dont des longueurs de tapis de gym pieds nus avec une bille entre les orteils au milieu d'adultes ou de plus grands tenus par des appareils bizarres - souvent de la rééducation après un accident -. Certains sont très esquintés et c'est impressionnant. Je sympathise avec deux plus jeunes (des adolescents mais à l'époque ils me semblent "des grands") mais chut, il ne faut pas parler. Comme certains peuvent lire, je me bats pour y avoir droit aussi - je peux lire en marchant, c'est tout droit-. Ne me souviens plus si j'ai eu gain de cause ou si on m'aura ri au nez. Peut-être que oui avec l'un des kinés et non avec l'autre (2). Les exercices pour le dos, en revanche me feront du bien.

C'est aussi l'année où je commence l'apprentissage du piano. Désireux de donner accès à leur enfant à ce dont ils ont été privés, mes parents se sont efforcés d'accéder à mon désir d'apprendre la musique, mais sans le respecter jusqu'au bout. Du violon que je désirais, j'ai dû me contenter du piano. Mon père n'aimait pas le son du violon. Et puis il avait un collègue qui bazardait le piano de sa très vieille mère atteinte d'arthrose ou -thrite. Alors ce sera piano. Je me souviens encore de la vieille dame qui me le confiait, tout ce qu'il représentait pour elle, prends-en bien soin, je suis contente qu'il aille à une petite fille comme toi, tu verras c'est un bon piano. Il était magnifique, touches en ivoire, chandeliers, dedans éléments anciens (3). La prof que mes parents ont trouvée et qui habite à quelques rues d'où on est m'effraie bien un peu. C'est une dame à forte poitrine et grosse voix. En fait c'est une bonne prof mais je ne le sais pas, je suis trop prise par la peur de mal faire et les engueulades en cascade puisqu'elle écrit sur le carnet de devoirs ses commentaires de la semaine en plus des exercices à préparer. Ça me gâche un peu mes mercredi après-midi (à présent le jour de congé n'est plus le jeudi) en plus qu'à cause du piano si elle me retient un peu tard, je loupe mon feuilleton Poly à la télé. Elle saura le moment venu dire qu'elle est au bout de son enseignement et que c'est au conservatoire que je dois continuer. Et surtout elle aura ce commentaire écrit dont je ne me souviens plus comment mes parents l'ont reçu (agacement ou fierté), mais de mon embarras si et ma totale perplexité "Gilda est une artiste !". C'était sur un morceau de Bach que certes j'aimais beaucoup, mais n'avais pas eu l'impression d'avoir si bien joué.

Je deviens consciente du temps qui passe, du fait que les adultes n'ont pas toujours raison, que parfois ils sont même bêtes (stupéfaction). Je crois que c'est cette année-là (ou celle de juste après ?) que j'ai tenté d'écrire. Au début c'est un cahier de petites histoires avec des dessins assortis destiné à ma petite sœur bien-aimée ... qui à 2 ans puis 3 n'en aura rien à cirer. Son désintérêt et la crainte que ma mère ne tombe dessus et m'assaisonne à cause de l'orthographe mal respectée auront raison de ma première velléité.

Et puis va faire ton piano.

(1) à la décharge de mon père, il me semble que c'est cette année-là où il cumulait deux boulots, à l'usine dans la journée puis en free-lance le soir (comme dessinateur industriel) et l'épuisement le rendait fou. Il eût été tellement plus simple en ces temps de plein-emploi que ma mère une fois ma sœur scolarisée, travaillât. Et tellement plus sain pour elle à qui il reprochait en permanence l'argent que pour la maison et non pour elle ou si rarement, elle dépensait.



(2) L'établissement était principalement tenu par un père et sa fille. (3) J'ai le souvenir de mon père remplaçant à la main une par une toutes les lanières de cuir, car d'âge elles se cassaient. D'un coup une note devenait silencieuse. C'était étrange et très humain, comme une extinction de voix.