lieux : Taverny (95)

logements : petits pavillons en série

L'année du CE1 sera pour moi celle d'une découverte terrible : des gens a priori sympathiques peuvent aussi être méchants, sans réelle raison, comme si c'était simplement par plaisir. J'avais pigé depuis mes débuts scolaires que certains aimaient nuire. Mais je les supposais, c'était à chaque fois le cas, qu'ils agissaient par stupidité. Ou pour certains garçons, besoin de violence qu'ils ne maîtrisaient pas. Dès lors je les plaignais et me contentais de me tenir à l'écart et de ne fréquenter que des enfants un peu plus élaborés.

Mais voilà qu'en CE1, nous sommes trois grandes amies et l'une des trois me raconte sur l'autre une embrouille qu'elles auraient eues et me dit Elle a été méchante, hein ? Ignorant tout du mensonge, je la crois, et c'est vrai que c'était méchant, donc j'acquiesce avec toute la tristesse de qui quelqu'un déçoit. Elle me piège alors en allant dire à l'amie commune que j'avais dit qu'elle était méchante. Je n'ai rien vu venir, rien. Et sombre malheureuse au soir d'une récré où cette dernière me dit en substance que comme j'ai dit qu'elle était méchante elle ne me causerait plus.

J'ai un vague souvenir de ma mère tentant de me consoler et ne comprenant pas, elle qui a peu d'ami(e)s et aucun lien très fort, pourquoi ça me met dans un tel état.

Celui aussi au lendemain, de convoquer les deux donzelles et mettre les choses au clair, tout dire en présence de tout le monde. Un lien se répare mais j'ai perdu la confiance nécessaire pour qu'elles restent mes confidentes et comme j'ai plein de copains garçons qui eux ne font pas d'histoires, quand ils sont fâchés ils se bagarrent un bon coup, se font punir ensemble et redeviennent amis, je laisse de côté les parlottes et me consacre plus qu'avant aux jeux actifs.

Ils ne manquent pas : on joue à chat, à "Où sont les cerfs", aux grandes cordes à sauter (deux qui font tourner une personne qui saute), plus tard apparaîtront billes, élastiques et osselets. Je ne cours pas vite ni ne saute haut mais je suis stratège, je n'ai peur de rien et se dessine alors ce truc qui me rendra incasable : à la fois tête de classe mais ne ressemblant pas aux bons élèves sages à lunettes, turbulente même parfois.

Une des filles de ma classe dont les parents travaillent tous les deux rentre seule chaque soir. Elle n'habite pas très loin de chez moi et nous devenons amies. Ma mère est offusquée que des parents laissent une petite seule ainsi rentrer avec sa clef dans la grande maison - car ils sont riches ils ont une villa et non un pavillon -. Elle y a peur toute seule. Pleure parfois. Et je tente de la consoler. D'obtenir aussi de ma mère qu'on fasse le petit crochet pour l'accompagner au moins jusqu'à la porte. Je ne sais plus si j'ai ou non gain de cause, à moins qu'une solution intermédiaire ne se soit dessinée - ma mère attendant au bout de la rue avec la poussette où vivote ma sœur, que j'ai raccompagnée l'amie jusqu'à sa porte -. Peut-être aussi que j'ai abdiqué. À 7 ans je crois encore et l'on m'a copieusement inculqué que les adultes savent et les enfants pas.

En revanche quand des "grandes" de CM1 ou 2 se mettent à embêter la petite Isabelle, prénom de cette amie, que sa tristesse rendait vulnérable, en la soumettant à quelques gages et autres humiliations d'enfants, un jour qu'on sort en forêt et que le manège semble prendre de plus dangereuses proportions, je décide de m'en mêler. Et je rejoins la fille que les grandes encerclaient. J'ai peur de me faire punir si ça dégénère et des conséquences catastrophiques qu'une punition scolaire à la maison aurait : mes parents se disputent sans arrêt et tout fait prétexte, particulièrement ce qui concerne les repas, les enfants et l'argent dépensé. Je n'ai pas peur des grandes. J'ai vu de loin qu'Isabelle est en mauvaise posture et je sens, je ne sais pas pourquoi ni comment, que j'aurais des comptes autrement plus sérieux à régler avec moi-même si je fais comme si de rien n'était, que si je vais la rejoindre tenter de changer les choses et me prendre une probable raclée. J'essaie de rameuter un pote mais le petit gars voyant qu'il s'agit d'une embrouille entre filles et se méfiant d'un groupe de grandes qu'on sait méchantes et craignant de se retrouver à devoir montrer son zizi (humiliation ultime) décline l'invitation. N'ayant aucun zizi à protéger je fonce, proteste, me prends le gage blessant ou la raclée prévisible, mais je m'en fous. D'abord parce que les maîtresses qui nous surveillaient n'ont rien vu et donc pas de punition qui eût été collective à n'en pas douter. Ensuite parce que j'ai gagné. Je n'oublierais jamais le regard de reconnaissance et d'avertissement (ne viens pas elles vont taper) de l'amie en mauvaise posture. Les autres sont si surprises qu'ensuite elles n'ont plus recommencé. En gueulant que c'était pas bien ce qu'elles faisaient, et comme ce n'étaient pas sauf peut-être une qui entraînaient, de si sales bougresses, je leur ai fait honte. L'une d'elle deviendra même une sorte d'amie. (le problème c'est peut-être que du coup, adulte, je n'ai plus jamais pu m'empêcher d'agir ainsi dans de semblables situations et l'ai payé assez cher ; en même temps d'être en accord avec soi-même aide qu'on dorme bien la nuit, même s'il s'agit d'une condition nécessaire et insuffisante)

Je suis en revanche heureuse sans nuages auprès des garçons. Ma mère a combiné avec celle de Jean-François, mon amoureux attitré depuis la dernière année de maternelle, que celle-ci qui habite près de l'école, alors que nous sommes à 20 minutes à pied, me prenne le midi. J'ignore quel est leur accord financier, mais en revanche à part que parfois ils mangent du cheval et que moi, non, ça vraiment je ne PEUX pas, comme je suis bien dans cette famille-ci. L'amoureux est pourvu de trois grandes sœurs, une très très grande et deux jumelles, sa maman est du genre expansive à la bonne humeur apparente inébranlable, les repas ne sont pas des moments de reproches permanents - alors que chez moi, si "pas les coudes sur la table", "tiens toi droite", "ne parle pas la bouche pleine" et ce en boucle qu'on mérite le reproche ou pas -. Ce qui compte c'est qu'on mange. Ensuite comme ses parents, gardiens de collège, sont hébergés sur place nous jouons dans une partie des cours et parkings qui ne sont pas accessibles aux élèves du moins entre les midis. C'est un collège Pailleron et ces cloisons qui vibrent ou s'enfoncent quand on appuie dessus d'une certaine façon me fascinent. Un mur peut donc n'être pas dur. Ces midis externalisés, c'est pour moi le bonheur. Nous ne sommes en effet plus dans la même école, mon amoureux et moi : si elles étaient mixtes il restait vestige de la séparation filles / garçons et dans le groupe scolaire réparti sur deux sites, l'un continuait à recevoir en majorité les uns (en plus que les parents de garçons estimaient le niveau meilleur et que leurs gars puisque c'était encore des maîtres et de l'autre côté des maîtresses seraient mieux tenus). Alors nous nous manquons.

Dans mon quartier heureusement il y a Jean-Mi, mon grand copain, mon pote, celui avec qui tout est simple. Longtemps après je m'interroge sur ce qui faisait qu'avec l'un il était question d'amour et avec l'autre non. L'un et l'autre étaient plutôt beaux gosses (1) et de gabarits semblables. Ce n'est donc pas que le physique de l'un était plus séduisant ou mieux à ma (petite) taille. Sans doute parce que Jean-Mi était pour moi, d'emblée, comme un frère. On parlait peu, on jouait beaucoup. Cette amitié a remarquablement résisté aux années. On se tient encore à présent au courant, comme ça, de loin en loin.

Cette année-là est celle de la lecture enfin en liberté. J'en tire une force formidable. En plus que mes parents alors m'encouragent, très heureux d'une enfant qui aime cette activité calme et intelligente. Ce n'est que plus tard, face aux proportions prises et à ce qu'on attend d'une jeune fille comme il faut, que ça posera problème (2). Je démarre par les "Fantômette", mais en fait vite le tour, passe aux "Michel" (bibliothèque verte ?), "Club des cinq", "Clan des sept". Plus tard les "Jacques Rogy". Les "Poly" de Cécile Aubry dont les histoires se déclinent aussi en feuilleton télé et qui agacent ma mère qui n'aime pas les chevaux (3) comme elle n'aime pas les chiens (4). Il y a Pif Gadget aussi, mais c'est sans doute l'année suivante.

Je commence enfin à faire valoir mes droits au port de pantalons et à un début de choix des vêtements, non pas tant à l'achat (5) qu'à l'enfilage au matin pour aller à l'école. La blouse y reste obligatoire mais elle n'est pas normée. Ce qui aurait donné des photos de classe très multicolores si on en avait faites. Le photographe passe, oui, mais uniquement pour nous tirer individuellement le portrait. Sur celui de CE1 j'ai les cheveux (un peu) longs. Ils étaient tenus courts, jusqu'alors.

Enfin et curieusement, fors un hiver enneigé (souvenirs de luge et de bonhomme de neige), je n'ai de cette période que des souvenirs sous le soleil. Comme s'il n'avait pas plu et que c'était normal (6).

(1) J'avais déjà bon goût ... ;-) (2) Dans "Ubiquité" de Claire Wolniewicz, il y a une scène entre des parents d'un petit garçon qui dessine beaucoup et leur professeur, qui représente parfaitement ce glissement d'attitude. Contents d'un petit qui dessine si souvent, inquiets et limitatifs dès lors que ça devient un obstacle éventuel au chemin vers un "vrai" métier. (3) Ni sans doute l'histoire personnelle de Cécile Aubry mais je ne m'en rendrai compte que 30 ans après. (4) Je dois ainsi aussi encaisser ses remarques ironico-méprisantes sur "Belle et Sébastien". (5) Tati, 3 Suisses, La Redoute et pulls tricotés maison par ma mère admirablement bien. (6) C'est probablement faux, il ne semble pas que l'année 1970/1971 en région parisienne ait été spécifiquement ensoleillée