Petit à petit, le feu s'étiole, le feu s'éteint, et je gèle de l'intérieur. Ne plus sortir, ne plus ranger, ne plus manger. Pleurer. Toujours, sans arrêt, comme une lame de fond qui balaie tout. Je ne sais même pas pourquoi je suis triste. Je ne suis même plus triste bientôt, je suis la tristesse. Je me rends compte que je coule, que je fais une bonne figure bien pâle, mais toujours efficace aux yeux des autres. Enfin, apparemment, puisqu'ils ne disent rien. Je suis la fille la plus entourée qui soit, et je crève dans la solitude, sourires ou crocs dehors, égale à moi même, et interieur devasté.

Je prévois de disparaître. A l'HP. Hôpital de la Colombière. Là où on met les fous comme moi, les enfants qui craquent. Pourtant j'y suis passée deux fois en stage, ça devrait me vacciner. Mais j'ai dépassé depuis longtemps le stade de la raison. Je pose des congés, il ne faut pas que les gens s'inquietent! Une semaine. Je cherche juste une semaine de répit. Je ne gère plus rien, pantin désarticulé tout juste tenu par une vie bien remplie.

Mais je craque, une semaine avant, un dimanche matin où Sabine et Virgine m'apportent un pot de jonquilles "il faut que tu t'occuppes d'elles, elles te tiendront compagnie". Je leur parle de mon projet d'internement.Viginie me gifle. Avec sa main ou avec des mots, je ne saurais le dire, c'est cinglant, et aussi désespéré que moi. Les gens qui nous aiment font de drôles de choses parfois. Elles partent, et je me retrouve à genoux sur le bord de mon lit, à me balancer, autiste, incapable de trouver ailleurs du reconfort. Mais j'ai perdu dans la bataille le peu de courage qui me restait pour faire ce dernier geste vers un salut possible. On est en avril, j'ai 20 ans, et je sombre.

Aout. J'ai eu 21 ans, et je pense à mourir tous les jours. Je ne peux plus. Je bosse comme une machine, je fais les ménages dans la clinique où bosse ma mère. J'ai les clés de toutes les pièces, y compris la pharmacie. C'est parfait pour mes plans, que j'échafaude toute la journée, tous les jours, chacun de ces jours où un vieux dont le corps se meurt salue ma jeunesse, ma beauté et la vie en moi. Mes entrailles se déchirent à chaque fois un peu plus, mais les hurlements restent coincés dans ma gorge, toujours.

Ma collègue de boulot, 20 ans, traumatisée que je sois lesbienne "mais ça n'est pas possible, ta mère est quelqu'un de bien, tout le monde l'aime ici". Un autre monde hein... moi aussi je l'aime ma mère, ne t'inquietes pas cécile.

J'hésite entre le potassium et la morphine. Peur d'avoir mal avec le potassium, peur d'être retrouvée la mousse aux lèvres avec la morphine, comme les cadavres d'overdose que j'ai vus. Je ne le sais pas encore, mais l'heure du choix approche.

Pharmacie de la clinique. Une boite remplie d'ampoules de morphine. Pas rangée dans l'armoire des stupéfiants, là, disponible, pour moi. Les voler, et mourir, ou aller le dire pour qu'elles soient remise sous clé, où je n'y aurais plus accès. Mourir, et être soulagée, c'est trés tentant. Mais ça ferait de ma mère la mère dune voleuse, pas quelqu'un de bien. Je pense aux ennuis qu'elle va avoir, et ça, ça arrive encore à peser dans la balance. L'heure du choix est là. Nana m'apparait, Nana, pas encore 14 ans, ai-je le droit? Ai-je le droit d'imposer à cette petite de grandir avec l'image d'une soeur suicidée? Je l'imagine grandir en portant ça, et ça me déchire les tripes. Tout n'est pas mort en moi.

Je préviens une des infirmières dans les étages qu'il y a de la morphine qui n'a pas été mise sous clé en bas.

Je renonce au suicide. Quand cette porte de sortie disparait, je n'ai plus le choix, plus d'autre issue à ma dépression. Je pleure beaucoup.

Mais je me réveille apaisée, enfin, après six mois d'enfer, le soleil s'est levé sur mon coeur. Nana, ma brindille incandescente, a fait renaitre le feu sacré.