1er mai 2001 : j'accouche de ma première fille. Un jour férié, grêve des sages-femmes et j'ai failli finir à la maternité de Saint-Malo...
Naissance mouvementée mais somme toute "normale", bien que longue et éprouvante (comme beaucoup de premières naissances, j'imagine). A la fin des douze et quelques heures, je suis épuisée malgré l'anesthésie (ou à cause d'elle ?) et on me demande encore de travailler... Je fainéante à l'expulsion ; en vérité, je n'ai plus une once de force pour pousser ma petite gréviste à l'extérieur. J'ai beau rassembler toute mon courage (et surtout mon envie d'en finir) mais j'ai l'impression de ne rien faire avancer.
La sage-femme (qui, curieusement, porte le prénom que j'avais déjà choisi si c'était une fille) m'appuie sur le haut du ventre pour pousser le bébé vers la sortie. Il y aura un (long ?) moment avant d'entendre le premier cri (à peine deux minutes, me dira la sage-femme ensuite). Manque (court) d'oxygénation au passage du col. Il n'y aura pas de séquelles mais Morgane part aussitôt en couveuse par précautions et examens complémentaires.
Après les deux heures réglementaires suivant la délivrance, je suis transférée dans ma chambre le ventre vide (dans tous les sens du terme !)... et toujours sans bébé. Il est deux heures de l'après-midi, je ne reverrai Morgane que vers dix-sept heures trente. Pour l'instant, elle est à la nursery en couveuse et je peux me reposer.
Je ne saurais jamais si ceci explique cela, mais ces quelques heures "sans" m'ont donné l'impression, quand la puéricultrice m'a amené ma fille pour la tetée (la première !), que ce n'était pas "à moi". Que j'étais dans cet hôpital pour tout autre chose que faire un enfant, bref que ça ne me concernait pas. A celà s'ajoute la gaucherie naturelle de la jeune maman pas sûre d'elle et qui laisse les infirmières "qui savent" dicter leurs règles de fonctionnement. Je n'étais même pas très sûre que c'était bien mon bébé qu'on m'amenait.
Sentiment étrange.
J'avais décidé d'essayer l'allaitement, plus parce que c'était bon pour le bébé que par évidence. Ce fut un fiasco total. Non seulement je n'en avais plus envie, mais de plus ça ne m'apportait rien - en tout cas pas émotionnellement.
Au bout de deux jours, je redoutais le moment de la tetée (ce qui revient quand même au début toutes les deux heures au bas mot !) et j'ai passé ma troisième nuit à pleurer en donnant un sein après l'autre sans arriver à fermer l'oeil. Comme j'ai besoin d'une heure pour m'endormir et que la tetée durait une autre heure, je n'ai pas dormi.
Sept heures du matin, au passage de la puéricultrice, j'ai demandé s'il était trop tard pour passer au biberon. Elle a eu l'air un peu étonnée, a essayé gentiment de m'encourager en m'expliquant que la mise en route était parfois difficile mais qu'ensuite ça se ferait naturellement et enfin que si on la passait au biberon, on ne pourrait pas revenir en arrière et qu'il fallait bien réfléchir. J'ai du lui répondre quelque chose du genre : "si je continue de l'allaiter, je la passe par la fenêtre" et elle a eu un sourire indulgent qui voulait dire qu'elle avait bien compris que c'était tout réfléchi. Dix minutes plus tard, Morgane bien calée sur mes genoux avalait goulûmment son premier bib'. J'allais déjà beaucoup mieux. Je n'ai jamais regretté n'avoir pas allaité. A mon deuxième accouchement, je ne me suis même pas posé la question.
Curieuse vie d'après. Je zone à la maison pendant mon congé maternité. C'est l'été, il fait plutôt très chaud et je garde le couffin de Morgane près de moi dans le salon (plus frais que les chambres) l'après-midi. Je passe mon temps à écrire entre deux biberons, je remanie une nouvelle fois mon roman tout en (re)découvrant U2 (j'ai acheté le dernier album, qui m'a conduit à acheter l'album qui était sorti au début des années 90 et qui avait marqué mon oreille sans que je m'en rende compte). Je passe quelques semaines ainsi dans une bienheureuse léthargie qui va bien à mes tendances romantiques mais qui ne vont pas du tout à mes envies d'activité. Mi-août, je n'ai que hâte de reprendre le travail.
Pas d'inquiétude à laisser la petite en garde ou chez sa nounou. J'ai un curieux sentiment de non-attachement et en même temps la sensation que je suis la seule au monde à lui être indispensable. Comme une responsabilité énorme car je n'ai pas le droit de faillir, de manquer à ce devoir.
Les puristes diront qu'elle a un père, qu'elle n'est pas "perdue" si jamais je viens à être malade ou pire... Mais en fait, ce n'est pas tellement une responsabilité matérielle, c'est une sorte de sensation de leur dépendance vis à vis de moi. Je n'aurai de cesse de rendre mes filles autonomes, parce qu'une telle dépendance me fait peur (comme toutes les dépendances d'ailleurs). Je ne m'en rendrais compte que beaucoup plus tard mais je ne peux concevoir, en fait, qu'on soit dépendant de moi : mes enfants, mes parents, mes amis, mes amours...