En 1971, j'ai 8 ans. Le jour de congé des élèves est encore le jeudi, et à la télé, y a Quentin Durward.

Je dois sauter une classe, le CM1. Il entre dans cette décision, un calcul alambiqué de mes parents, deux déménagements prévus en deux ans, une maison en construction pendant un an (les innocents!), aucune demande de ma part, mais peut être une certaine satisfaction de faire enfin comme mes deux frères.

Je voue à ma maîtresse un culte plus grand encore qu'à Quentin Durward, chaque sourire d'elle me traverse d'un sentiment proprement amoureux, mais je crois bien qu'au fond, je me fiche de l'école. Menu déroulant sans histoire, routine benoîte et incolore. J'ai lu dès ma première année tous les livres de l'école et je bée d'envie et d'admiration devant les filles magiciennes qui jonglent au mur avec trois balles, et font vinaigre à la corde à sauter.

Je suis enveloppée d'enfance, sous-jacente encore, esquisse rablée, parfois débrouillarde et imaginative, parfois butée et chagrine.

Craignant, avec quelques raisons, que mon bagage soit un peu juste, mon père décide de se transformer en mentor, durant un mois, chaque matin. Cet été, nous campons. Pour de vrai, dans un champ, avec une toile à l'architecture complexe, qui pèse un âne mort. Chaque matin, nous rejoignons un bistrot près du port, mon père bourre sa pipe, commande un café et une grenadine, et m'explique le monde et la règle de trois. J'en ai sans doute profité, ravie de l'avoir rien que pour moi. Je me suis sûrement tortillée sur ma chaise, gonflée d'importance, surjouant d'un voix aigüe le plaisir de ce moment d'intimité, posant à la fifille à son papa. Mais il joua loyalement son rôle, et je veux croire, à écouter en moi l'écho de ce moment, que j'y trouvais autre chose qu'une satisfaction de petit vampire de famille nombreuse.

J'aimerai le bruit de la pluie sur une toile de tente, j'aimerai intensément ce port sur l'Atlantique, les bars et plus particulièrement cette place près de la fenêtre où l'on peut regarder dehors tout en écoutant les conversations du dedans, le tabac aussi, et le café.

Je me souviendrai que j'étais en sécurité dans la voix patiente de mon père et que, plus que tout autre démonstration, c'est peut être cela, avoir été un enfant aimé : le confort immédiat que procure la voix de son parent, ce contact qui a traversé les années, les conflits et les nécessaires accommodements, et qui, maintenant encore, me nomme en un centre toujours vivant.

Par contre, en ce qui concerne Quentin Durward, ça ne marche plus du tout. Je l'ai réécouté vingt ans après, et le verdict fut sans appel. Ce bellâtre joue décidément comme une bernique.