''Alors, comme cela, on peut.

On peut ouvrir un coffret clos depuis longtemps

et y retrouver intacte

une perle.

D'un bijou en or massif

on se serait attendu

à en revoir l'éclat solide et un peu âpre.

mais cela?

cette douceur enclose

qu'on aurait cru évanescente

c'est si têtu?''


En 1970, j'ai sept ans, et De Gaulle, personnage pas marrant dont on parle de temps en temps à la maison avec colère, et beaucoup à la télé, avec trémolo, meurt. Pour avoir titré "Bal tragique à Colombey:un mort" Hara Kiri est interdit, et Pilote, le journal qui m'amuse, accueille un certains nombres de dessinateurs transfuges qui me feront réfléchir, mais plus tard.

Cet été, nous partons en famille en Irlande. C'est peut-être l'un des très rares moments de ce temps là qui fonctionne réellement comme un souvenir, et non comme une histoire de mon enfance, parce qu'au delà des mots, du récit forcément réaménagé, il me semble que je peux sentir encore l'odeur et les sensations de ce voyage. La douceur qu'il m'en reste est bien plus qu'un vestige.

Il y a d'abord l'âne, qui accepte par moment de nous porter. Plus tard, comme de nombreuses filles en quête de maîtrise, je prétendrais idolâtrer le cheval élégant et capricieux. Mais mon coeur ombrageux est allé à l'âne indulgent, sans aucune défiance et, pour la vie, j'aimerai son oeil fardé et son pas équitable.

Il y aura l'admiration que j'éprouve pour l'anglais de mon père, nullement entachée par la réponse du marin auquel il demandait son chemin :

-"Ah ça j'sais pas mon pote, nous autres, on est du Guilvinec, alors!.."

Après cet échange, il y aura la soirée, passée dans l'étroit carré du chalutier, qui sent le pétrole et la cigarette, les kilos de langoustines cuites dans la cambuse et offerts malgré les protestations de mes parents, la main qui ébouriffe les cheveux des mômes ravis, une sensation de chaleur et de tribu.

On retrouvera cette chaleur dans un pub parfaitement conforme aux promesses du syndicat d'initiative Irlandais. Nos parent s'étant enquis de nos désirs en matière de consommations, la mystérieuse unité de notre enfance, jointe à notre culot d'enfants aimés, nous fit claironner: "un whisky!" avec un ensemble qui fit hurler de rire le public, et ouvrit les portes de la soirée.

Il y aura ce périple en roulotte. Bien sûr,et surtout il y a quarante ans, cela représentait un sommet d'exotisme, et nous l'avions abordé avec une intense excitation. Mais ce qu'il m'en reste, c'est une façon extraordinairement paisible et intime de faire famille. Je retrouverai probablement plus tard en bateau, le pragmatisme tendre de ces menus gestes qui font le bien-être de chacun dans un espace minuscule. Oeuf mobile, déplacement sans autre enjeu que le bercement, parfums et lumière volés au passage...

Voilà. Si l'on me demande ce qui, dans mon enfance, incarne le réconfort, l'ingéniosité, le souci de faire plaisir et d'être ensemble qui peut surgir d'une famille, c'est cette image là qui me vient: un pot de jelly violemment rouge ou verte, figeant lentement dans un plat en pyrex, sur le siège d'une roulotte, au rythme du pas d'un cheval et des haussements d'épaules amicaux d'Irlandais en casquette de tweed.

Une vieille dame, peu avant notre retour, nous demanda de saluer Monsieur de Gaulle de sa part. Mon père promit gravement qu'il n'y manquerait pas.