L'antéchronologie m'oblige à dire ici la fin du premier acte d'une pièce dont vous avez déjà vu l'acte second. Cela ne peut qu'accentuer l'impression que ces quelques mois - vingt-et-un pour être précis - ne sont que parenthèse. Malheureusement la parenthèse est bien réelle, ce sont des mois de vie, qui ont laissé des traces en moi, en Lui, en L...

Je ne souhaite à personne ni leur place ni la mienne, puisque malgré toutes mes résolutions je n'ai pas réussi, de tout ce temps, à oublier, à accepter et à tourner la page.

Janvier 1998. L'euphorie des premiers mois étudiants, l'indépendance (relative) et la grande ville, les rencontres et surtout... les retrouvailles. Mon ami Jo m'a confié, en avant-première, son homosexualité ; le bel et blond Z que j'aime tant m'a fait l'honneur de confidences amoureuses. Et puis T a répondu à ma petite lettre. En tant qu'amie, je suis comblée de tant de marques de confiance.

Lui, mon amoureux et mon promis, est resté pour ces deux premières années dans la petite ville de notre petit lycée. T en revanche a comme moi choisi la voie de la prépa et nous nous croisons tous les jours, et un détonant coktail de nostalgie et d'euphorie fait advenir ce qui devait venir. J'ai deux amours, il me faut donc choisir. Choisir entre l'homme de ma vie et puis... mon âme frère. Mon âme frère, il a le charme de nos rêves et de nos souvenirs (ricochet à venir...), et fatalement... je le choisis.

Trois mois plus tard, le désenchantement. T a renoncé, s'est éloigné sans savoir rien dire. Ce qui pour moi est pure lâcheté. Lui a rencontré L, et moi, mes anges envolés, j'ai tout perdu.

Le pire étant la perte, au moins temporaire, des amis qui m'ont tous prévenue et ne savent que me dire on te l'avait bien dit, tu te l'es bien cherché. Tous, sauf une, la seule. Mais elle est loin.

Avril et mai sont l'expérience de la solitude quasi absolue. Je vérifie ma boîte aux lettres (la vraie, pas l'électronique ! je n'ose imaginer quel aurait été mon comportement alors si j'avais disposé d'Internet) quinze fois par jour. Je compulse régulièrement mon répertoire en quête de gens à appeler. Je n'ose même plus quitter mon appartement de peur de rater le téléphone s'il se mettait par miracle à sonner. J'ai besoin d'eux pour exister, et je souffre que l'on existe sans moi. Je ne supporte pas cette solitude forcée.

Lui n'est pas très clair sur ses sentiments. Mais son sens moral lui interdit de le reconnaître. Malgré tous nos efforts, quelque chose subsiste entre nous. L le voit bien et elle en souffre. Forcément. Je ne peux me résoudre à couper les ponts quand il est l'un des seuls à me parler encore. Il n'a pas assez de courage pour en prendre l'initiative, mais ne supporte pas d'être tiraillé entre sa jalousie et la mienne, même si nous essayons tous de faire comme si tout allait bien.

Le onze juillet, il m'appelle. L l'a quitté. Je passe la nuit et la journée suivante à rêver à son retour.

Le douze juillet, alors que la France a les yeux rivés sur les grands écrans de la coupe du monde de football, il rappelle. L l'a repris.

Le coup est rude. Je vais noyer mon chagrin au cinéma. J'ai oublié le film. Je mettrai beaucoup de temps à supporter la liesse populaire qui a suivi, la joie des cousins que je retrouve le lendemain, les conversations qui me renvoient sans cesse à ce coup de poignard. Je maudis l'espoir qui me lâche toujours de trop haut.

Heureusement septembre m'apporte d'autres satisfactions. J'ai gagné la sympathie des élèves de première année, on ne sait comment, mais pour la première fois de ma vie je me sens populaire. Ca compense.