J'ai promis à Sidonie qu'un enfant naîtra. Dans le même temps, je suis contactée par Médecins sans Frontières qui recherchent des interprètes pour partir à Grozny. Je passe l'interview et à la dernière seconde, je leur dis que la seule chose qui m'empêcherait de partir serait si je suis enceinte.

Quand je fais savoir ma décision à Estac, il panique. Il veut que je reste avec lui. Il veut que je sois là pour les premières sessions de studio à Brooklyn. Il me dit alors que s'il ne tient qu'à faire un bébé, il va le faire, et il m'entraîne dans la chambre ; et quand quelques heures plus tard, Gabrielle m'appelle au téléphone, je lui dis en riant que j'ai fait un bébé.

Mais quelques jours plus tard déjà, Estac ne veut surtout plus en entendre parler. Ce n'est pas grave d'ailleurs, puisque je suis enceinte. Mais quand je le vérifie, et que je veux le lui annoncer, il refuse de m'écouter. Je suis mortifiée. Je voudrais tellement être à partager quelque chose avec lui, et il ne m'autorise pas à le faire, alors je partage avec les femmes de ma vie, sans qu'elles se doutent que ma plainte est intense.

Je vais partir le rejoindre à Brooklyn. Il m'interdira de mettre un seul doigt de pied au studio et je reste confinée au sous-sol, à l'attendre, et attendre mon bébé tranquillement, tout en répétant la cantate de Bach pour le trimestre à venir. Jamais je n'aurais été aussi bien préparée pour un concert. J'ai dû renoncer à mes cours d'hébreu, je vais en manquer trop, de toutes manières j'aurais également abandonné si j'étais partie en Tchétchénie.

A mon retour, je vais faire la connaissance de Romain. Claudette ne sait pas que je suis enceinte. Elle me raconte que Romain est revenu avec le cytomégalovirus. J'ai un coup au coeur. Ma gynéco me rassure plus tard en me disant que l'on est exposé partout dans le métro. N'empêche, l'hôpital trouvera plus tard que le foetus ne se développe pas si bien et que j'ai des anticorps qui indiquent que j'ai été un jour exposée, mais quand ? On ne saura jamais. Estac ne veut toujours rien savoir. Je passe cette grossesse toute seule et d'ailleurs personne ne s'en aperçoit avant le septième mois.

Quand notre bébé vient au monde, c'est avec l'aide d'un autre homme que mon mari. Je savais bien qu'il y avait des sage-femmes hommes dans le service, mais j'avais espéré que j'aurais de la chance[1]. Ce n'est pas grave. Il s'appelle Frédéric et il s'est très bien débrouillé, un peu effaré de la vitesse à laquelle le travail s'est déroulé. Estac n'a pas eu le temps d'arriver. Et on n'est toujours pas d'accord sur comment Monsieur Ziti s'appelera.

Notes

[1] de rester entre femmes.