Je suis enfin licenciée, un licenciement pour motif économique, j'étais la dernière dans le service avec le Directeur, chaque matin, je me demandais si j'allais toujours trouver une chaise, il y avait déjà belle lurette qu'il n'y avait plus aucun dossier, la guerre des nerfs durait depuis si longtemps, mais j'ai gagné.

L'indemnité est certes petite mais je vais pouvoir me reconvertir. J'ai déjà bénéficié d'une procédure d'outplacement qui n'aboutit pas parce qu'elle ne prévoit pas de changements de braquet comme je le souhaiterais, mais je suis confortée dans mes décisions et surtout alors que mon amant est reparti pour un nouveau trimestre à Boston, je réussis cette fois-ci brillamment le concours auquel je postulais. Je suis ravie et je décide d'aller le rejoindre là-bas en attendant la rentrée, ce qui s'avère extrêmement difficile et finalement coûteux.

Mais je débarque ensoleillée dans ma jupe de coton, natte dans le dos et radieuse, une après-midi d'août et il me trouve toute petite, moi qui me love immédiatement dans le creux de son épaule avec l'envie de n'en plus bouger.

Je suis vite à déchanter quand je m'aperçois de l'état de crasse de l'appartement qu'il partage avec son ami pianiste, du veto qu'il oppose à ma présence à la plupart de ses activités quotidiennes, même quand rien n'y ferait barrage, et surtout le jour où sur le campus il me dit qu'il doit passer prendre son courrier à la boîte postale, et que stupéfaite je m'aperçois qu'il y retire les dernières douzaines de lettres qu'il a reçues de moi depuis un mois et qu'il n'a jamais pris la peine d'aller chercher !

Mais je ne dis rien car nous sommes souvent en public et que dans ces moments-là je deviens ostensiblement sa reine et sa fierté.

J'oublie vite mes doutes et mes préventions même si je suis troublée d'apprendre qu'il obtient sa carte verte et m'inquiète qu'il va choisir de vivre aux Etats-Unis juste au moment où j'imprime un tournant décisif à ma vie.

Et puis, c'est le choc de la première guerre du Golfe. La politique vient estomper mes angoisses personnelles et je continue de ne rien dire.

Je démarre ma formation à l'Institut de Formateurs de la Chambre de Commerce de Paris, et c'est un huis-clos passionnant qui dure jusqu'à la fin de l'année. Je n 'ai qu'un souci cependant : cacher à tout le monde mon passage par la case hôpital psychiatrique. Je ne tiens surtout pas à en parler, et je marche parfois sur des oeufs dans des situations où je suis fortement ébranlée. J'ai alors l'impression que le projecteur va se braquer sur moi et qu'on verra que je suis marquée d'une tache indélébile infâmante et invalidante.