Je m'ennuie terriblement au bureau. La fusion de l'entreprise a entraîné d'importants mouvements de personnel et notre service de central devient redondant et condamné à terme. La situation est stressante et j'aurais rêvé de meilleures conditions pour pouvoir savourer ma liaison avec Estac. Malheureusement, celle-ci devient rapidement la source d'angoisses que je ne m'explique pas. Moi qui voudrais exulter, je suis comme étouffée, réprimée et punie pour des crimes qu'on ne me dit pas.

J'écris : "j'ai besoin de vigilance, pour ne pas sombrer dans le piège que je me tends et en premier dans celui d'avoir peur de l'autre. Parce que de cette peur devient implicite que je suis vulnérable, fragile".

Je cache donc cette fragilité pour ne pas montrer à Estac quel oiseau capable d'être broyé et anéanti je suis, du moins, je m'en persuade, alors que c'est justement cette qualité qui l'a fait me choisir et qu'il cultive soigneusement, la mettant scientifiquement en cage pour qu'elle reste disponible à la demande.

Dans le même temps que je me débats dans le piège, je me confie à Octave malgré l'interdit qui pèse sur la révélation de ma liaison avec Estac. ll a cette suggestion absolument terrifiante pour moi : "Peut-être qu'il a honte de toi ?" parce qu'elle vient renforcer l'idée que je me fais de moi qu'il faut me taire et me cacher, et surtout parce qu'elle m'éloigne de la seule décision qui aurait été sage et aurait mis un terme à cet enfermement programmé. Je décide de lui prouver ma valeur par tous les moyens, et pour cela, il faut bien que je reste auprès de lui, et que je me rende complaisamment à tous ses désirs.

Je l'aide à obtenir sa bourse aux Etats-Unis, me rendre aussi utile est bien sûr une victoire pour moi quand elle ne fait que m'aveugler encore plus sur la stratégie de l'oiseleur. Je chante pour lui en cage, mais je chante de mieux en mieux.

Quand il part pour un trimestre, je revis, même si j'échoue au concours que je présente pour une reconversion professionnelle que j'avais pourtant préparée dans le même temps que sa bourse. Peut-être que je ne voulais surtout pas éclipser sa valeur en l'égalant. Je pars à Saint-Céré en stage de chant choral, et c'est du bonheur pur et simple, je ne me rends pas compte de l'importance de ma liberté alors qu'elle devrait me sauter aux yeux, et je n'attends plus qu'une chose, vivre indépendante et faire ce que je veux et non plus ce que quelqu'un veut de moi.

Ce qui ne m'empêchera pas de retomber sous le charme dès son retour et me précipiter là où il voudra de moi. A la fin de l'année, seulement quand je chercherai à m'échapper à nouveau, et mettre un terme à ce qui me semble un échec total de communication harmonieuse, il me rattrapera par les basques et acceptera de me reséduire et viendra s'installer chez moi comme si de rien n'était.