Les premiers signes d'un malaise dans mon rapport aux autres apparaîtront durant un séjour d'un mois en colonie de vacances, avec mon frère. Nous avions gardé le mauvais souvenir d'une expérience dans la petite enfance, mais ma mère nous avait assurés que cette fois ce serait différent. Et puis nous étions des grands, maintenant... Je n'ai pas aimé ce groupe nombreux d'inconnus. Il y avait trop de monde, trop de changement, trop de promiscuité. Je me suis senti effarouché dans cet environnement dont je voyais bien qu'il était régi par des règles de clan, et où il faut s'imposer pour exister. Je n'ai jamais été un leader, et pas davantage un suiveur. Plutôt du genre indépendant. J'observais le comportement de mes semblables, restant à distance, ne m'impliquant pas, ne me faisant pas remarquer. Le genre d'enfant effacé, sans problème, ni invisible ni participant. Seulement présent. J'observais les petits injustices, les mensonges, les vols, les mesquineries, les égoïsmes, les souffre-douleur. Et puis, envieux, ceux qui semblaient à l'aise et savaient se lier d'amitié très rapidement. Hormis les randonnées dans les paysages et sommets avoisinants, je ne garde aucun souvenir agréable de ce mois-là. Par contre je me souviens très bien de la délivrance, quelques jours avant la fin, lorsque nos parents sont venus nous chercher pour partir en vacances en Bretagne. Ce fûrent nos premières vacances lointaines, dans une autre mer que la Méditerranée connue depuis toujours.

La Trinité sur Mer, dans une maison traditionnelle, à quelques centaines de mètres du rivage. Surprise devant l'amplitude des marées et leur alternance, ces plages devenant immenses à marée basse. Visites des alignements de Carnac alors aisément accessibles, du déjà touristique Mont St Michel. Et puis la sauvage pointe du Raz, la bien nommée Belle-ïle. Ces paysages grandioses, apres et rugueux, me plaisent beaucoup. En revanche j'observe, incrédule, une assemblée de "druides" dont le folklore me paraît totalement fantaisiste, pour ne pas dire ridicule. Je n'ai que dix ans, mais faut pas me prendre pour un benêt : on n'est plus au temps d'Astérix !

À la rentrée j'entame ce qui sera ma dernière année scolaire d'enfance. Je suis devenu un jeune garçon plutôt heureux et insouciant. J'ai de bons résultats scolaires et me sens faire partie d'une bande de copains, j'aime le lieux où je vis, m'entends bien avec mon frère et mes soeurs. Mon père nous laisse à peu près tranquilles, sans doute occupé par son travail.