lieux : Chambourcy (78) près de Paris.

logements : immeubles longs et parallélépipédiques de 5 à 7 étages, des HLM améliorées sur une colline encore boisée.

Le plus ancien des anciens souvenirs que j'ai. C'est une lumière rasante, orangée et chaleureuse de fin d'après-midi. Je me suis réveillée après l'équivalent de la sieste. En ce temps-là on impose des horaires aux bébés (peut-être pas dans toutes les familles, mais disons que ça semble la norme) donc l'enfant a tout intérêt a n'être affamé qu'avec ponctualité. Etant donné que j'avais des parents à principes, j'ai dû bien en baver.

Cette après-midi là, j'ai dû me réveiller sans fringale, ni sensation de saleté. Comment expliquer sinon que je sois dans mon berceau allongée sur le dos, en train de regarder et de voir les drapés de son rideau (1), la lumière rassurante et les rais de poussière. J'ai ce souvenir d'un moment apaisé.

J'ai sans doute voulu attraper ces rayons de poussière. Tout d'un coup dans mon champ de vision apparaissent des éléments mouvants et qui d'abord m'effraient. Mais je me tais (2) de peur que la personne qui me lave et me nourrit ne rapplique et ne les fasse fuir. Ces choses qui vont vers les grains mobiles. Je pense qu'il y a un temps de latence, les choses ont disparu, il n'y a pas de bruit, et la lumière est là. Qu'est-ce que c'est ça ? Ces petits grains brillants et clairs qui ont l'air de bouger au dessus de moi mais sans faire mal en arrivant ?

Et les choses réapparaissent, vers les grains. Plus j'ai de curiosité (que je ne sais pas encore nommer) plus les choses viennent et reviennent.

Il y a un long moment comme ça et peut-être une fatigue qui fait qu'à force je remarque que j'ai mal quand les choses passent. Comment se fait la connexion ? Le souvenir de la révélation m'est disparu. Mais pas celui de l'acquisition : ces choses dépendent de moi. J'en ignore le nom. J'en ignore tout. Mais c'est moi qui décide ou non qu'elles viennent et bougent.

Etant donné la consistance et la facilité de préhensibilité de mon premier objet d'étude (les poussières minuscules en suspension que la lumière rend visible), je peux supposer que j'ai mis un moment à comprendre qu'avec les mains on pouvait vraiment attraper.

A l'instant magique met fin la voix de ma maman.

(1) c'est ce qui me laisse à croire que ce souvenir est le premier conscient car je n'ai pas dû occuper ce berceau au delà d'un an 1/2 ou 2 ans. (2) Sur ce point-là j'ai un doute solide de s'il ne s'agit pas en cela d'un moment recomposé, retravaillé par les rêves ? Comment une volonté serait possible à cet âge ? Mais pour la lumière je suis certaine de sa véracité. Et la conscience des mains.