Le week-end, quand je rentre de pension, je retrouve souvent les copains. Nous habitons une petite ville: une seule école, un seul collège. Nous nous connaissons souvent depuis la primaire. Quelques liens se sont noués, malgré mes difficultés à être avec les autres. C'est une période plus facile pour moi. J'ai bientôt 16 ans, je m'intéresse aux garçons et ils me le rendent bien.

Nous nous retrouvons au parc. Il y a le noyau dur: ma voisine et amie, des copines de collège, mon ami d'enfance, et leurs copains et copines réciproques, auxquels viennent se greffer d'autres connaissances.

Une bande de jeunes. Les garçons s'intéressent aux filles, les filles s'intéressent aux garçons. Rien que de très banal.

Il y a les filles qui draguent, qui s'affichent, sûres d'elles, maquillées, pomponnées, et puis les filles timides, un peu gauche, qui n'osent pas, restent un peu en retrait. Moi, je suis plutôt à part. Ca me plait de savoir que je plais, mais je n'aguiche pas. Je n'ai pas encore 16 ans et je trouve agréable de tenir la main d'un garçon qui n'a d'yeux que pour moi. Et si il change souvent, c'est que depuis mon premier chagrin d'amour, je me tiens à l'écart du moindre emballement de mon coeur.

Parfois je suis non accompagnée. Il choisit toujours cette période là pour venir me relancer.

"Tu veux sortir avec moi?"

Je le remballe gentiment. Il ne m'intéresse pas. Il est juste gentil, un peu collant, mais je n'ai aucune envie de sortir avec lui.

Alors au début je reste sympa, mais ferme.

Il insiste, il tente, je le repousse encore.

Je n'ai pas l'habitude d'avoir à répéter ce genre de chose. Son insistance me met mal à l'aise. Je finis par l'éviter.

Ce jour là je traverse seule le parc, il vient à ma rencontre, me tire par le bras et tente de m'embrasser. Je le repousse violemment. Cette fois, c'en est trop . Il me toise et me hurle " tu me le paieras". Je hausse les épaules. Et puis je m'en vais, oubliant l'incident.

C'est un samedi je crois. J'ai posé mon vélo à l'entrée du parc. Est ce qu'il fait sombre déjà? Je ne me souviens pas. La bande est sans doute là-bas, en dessous du terrain de jeu. Pour les rejoindre, il faut suivre le sentier puis longer la petite étendue d'eau, traverser l'allée centrale. Je marche d'un bon pas.

Il a surgit d'on ne sait où. Je sursaute, puis me rassure. Il est accompagné de 2 ou 3 copains, et parmi eux j'en connais certains.

Il me barre la route.

"Ca te dis de sortir avec moi?"

"Non! Ca me dit pas"

"Ben on va voir ça!"

Je le repousse, je me débats. Je ne comprends pas. je ne les reconnais plus. Ils rient, ils s'amusent. Ils m'agrippent et me traînent dans l'herbe.

Je sens des mains qui pèsent sur mes bras, des bras qui enserrent mes jambes.

Et lui qui se couche sur moi. Je sens ses lèvres sur les miennes. Il tente d'enfourner sa langue dans ma bouche. je serre les dents. Il va s'arrêter là. c'est pas possible qu'il en soit autrement. Ils vont se rendre compte qu'ils sont allés trop loin. Pourquoi je ne crie pas? Pourquoi je ne crie pas?

Son corps pèse sur mon corps. Ses mains fouillent sous mon chemisier, puis sous ma jupe. Ses doigts glissent sur ma poitrine. Ses mains sont froides, ses mains sont moites, ses mains me dégoûtent.

Ses mains m'écorchent, me brûlent, me salissent, elles me punissent. Sa bouche m'avale, elle m'impose le silence. Son corps m'écrase, me soumet, il me paralyse.

J'ouvre bien grand mes yeux et je regarde le ciel, juste au dessus de lui. Il n'y a rien sous ses doigts et je ne crierai pas. Moi, je ne suis déjà plus là.

Ils m'ont enfin lâchés et sont repartis en rigolant. Je n'ai pas rejoint les autres. J'ai rajusté mes vêtements, enlevé l'herbe dans mes cheveux. Je n'ai pas versé une larme, juste serré les poings. J'ai repris mon vélo et je suis rentrée chez moi et j'ai oublié, pendant 27 ans.