J'ai parlé de deux évènements qui avaient bouleversé cette année là. Je vous ai compté le 1er la semaine dernière, doux souvenir de mes 14 ans. Voici le second, bien plus traumatisant.

C'est un dimanche de septembre, en fin d'après-midi. 18 heures à peu près. Nous roulons sur une route de campagne, mon père au volant, ma mère à ses côtés, ma soeur et moi à l'arrière.

Ce soir ma soeur ne rentrera pas avec nous. Nous l'accompagnons au lycée. Elle y sera pensionnaire dorénavant. Elle a 15 ans. Pour la première fois ce soir, elle dormira loin de chez nous, loin de moi. Elle est impatiente de découvrir son lycée, moi je suis triste. Ma soeur, mon amie, mon alliée ne sera plus près de moi lorsque je m'endormirai. Elle ne me tiendra plus la main lorsqu'il criera après moi. Elle ne m'accompagnera plus dans mes virées à patins à roulettes ou à vélo après l'école. Ma soeur me quitte et je suis triste.

Mon père, au volant de la Diane, roule prudemment. Il y a un peu de monde sur la route, c'est la fin du week-end.

A mi-chemin, alors que nous sommes sur une ligne droite, un voiture (une Renault 5 noire) nous double à très vive allure, juste au moment quelques centaines de mètres avant un dos d'âne. Il y a un autre voiture qui arrive en face, un break, qui roule assez vite aussi. Le choc entre les deux voitures est d'une violence inouï. La renault 5 est projeté en l'air, puis retombe sur la voiture qui roule juste devant nous, une 4L blanche d'où est éjecté un jeune garçon qui finit sur le goudron, au milieu de la route. A nouveau projetée en l'air, la renault 5 retombe dans le fossé, sur notre droite. Mon père a freiné, il s'arrête à quelques centimètres de la 4L.

Nous descendons de voiture, les yeux hagards. Il y a des cris, des plaintes, et tout ce sang. Et puis nous entendons des cris d'enfants. Nous nous avançons vers le break, je tiens la main de ma soeur. On nous crie de ne pas nous approcher, nous ne voulons rien entendre. De la voiture, nous aidons de jeunes enfants à s'extirper. Il y en a 6. Ils sont blessés mais ne paraissent pas l'être gravement. Ils sont surtout terrorisés. Ils s'accrochent à nous. Et puis il y a cet homme au volant, du sang coule de son front, de sa bouche. Il est coincé dans l'amas de tôles. Il a de la peine à respirer. Il nous tend un bébé. Ma soeur l'entoure de ses bras et le sort de la voiture accidenté. Il hurle, il doit avoir un an. L'homme s'est évanoui. Il mourra à l'arrivée des secours.

Nous allons nous asseoir dans l'herbe avec les enfants qui ne veulent pas nous lâcher. Nous chantons des chansons, avec eux, les berçons. Il y a tous ces gens qui hurlent autour, tous ces conducteurs qui se sont arrêtés après l'accident, qui sous prétexte de prendre en main la situation, ne font que gueuler, donner des ordres, organiser un semblant de circulation. Yaka, foke.

Et puis les secours arrivent enfin. Dans la Renault 5, sur la place arrière il y a un bébé de quelques jours, dans un berceau, miraculeusement indemne. Son père est désincarcéré, blessé aux jambes. Sa mère défigurée, mais vivante.

De ces tas de ferraille, on ne retirera qu'un mort, 3 blessés graves et des blessés légers. C'est un miracle. Le jeune homme éjecté en sera quitte pour une fracture du bassin. Il allait lui aussi faire sa rentrée au lycée.

Nous reprendrons la route bien plus tard et ma soeur arrivera au lycée les vêtements en sang. Je n'oublierai jamais cette rentrée 1974.

Je revois encore ce père en larmes, et j'entends encore ses mots: "prenez le".

A chaque fois que je passe sur un dos d'âne, j'y pense.

J'ai toujours peur en voiture.