Changement notable : nous allons déménager pour nous installer à la campagne. Dès la fin de l'hiver nous allons régulièrement voir le chantier de notre future maison. J'aime l'odeur du ciment frais, j'aime voir "avancer" les travaux, se dessiner les pièces au sol, puis les murs se poser. C'est une maison préfabriquée, l'innovation de l'époque. Notre maison en pièces détachées sera entreposée quelques jours chez un voisin.

Durant l'été nous emménageons. Le premier soir ma petite soeur, qui n'a que trois ans, se met à pleurer. Elle veut qu'on rentre "à la maison". Ça nous fait rire, nous, les grands, excités par ce changement.

En septembre c'est la rentrée. Avec mon frère nous faisons partie des quelques citadins nouveaux dans cette petite école rurale. La directrice propose une ronde afin d'accueillir tout le monde. Ici les garçons et les filles sont mélangés, mais les âges aussi. De la maternelle à la fin du primaire, il n'y a que deux classes. J'entre au CE2 et nous sommes... quatre, à égalité fille-garçons. Mon frère est au CE1, c'est à dire dans la rangée voisine de pupitres. Plus loin sont les CP. La mixité est un vrai plaisir et j'apprécie beaucoup la compagnie des filles. Très vite je suis attiré par l'une des deux de ma classe. Quand elle se fait opérer de l'appendicite, son absence de quelques semaines fait détourner mon regard vers l'autre fille, dont je resterai amoureux des années durant. Je la trouve jolie. Elle est gentille et timide, avec son doux sourire. Je me souviens d'avoir fait exprès de faire tomber ma gomme sous son bureau pour, la ramassant, voir sa culotte... Je devais avoir une fascination pour les culottes blanches Petit Bateau, parce qu'au même âge je révais de voir celle de ma cousine, de trois ans mon aînée. J'étais aussi un peu amoureux d'elle.

Le mercredi, après les cours, la plupart des enfants vont au catéchisme. Là le truculent curé nous raconte la vie de Jésus avec force détails. Il nous captive en mimant les scènes et en "mettant le ton" dans un récit théatralisé, seul attrait de toutes les gnagnasseries qu'il nous fait apprendre. En juin je fais ma communion, avec mes copains d'école. En procession derrière le curé et les enfants de coeur, cela tenait, à l'aube des années 70, de l'anachronisme. Sans lien de cause à effet, mon père m'autorise à boire un peu de vin le dimanche. Je n'aime pas vraiment mais pour le plaisir de ce privilège je me fais servir mon fond de verre..

La vie à la campagne est une vraie révélation ! Nous allons tous les jours à l'école à pied, en passant à travers les champs. À cette époque aucun parent n'aurait l'idée d'accompagner ses enfants en voiture ! Nous revenons en groupes chahutants qui s'égrennent au fil des maisons. Le week-end mes parents travaillent dans le jardin, plantent des arbres avec fierté, des rosiers dont la couleur est choisie avec soin. Je découvre les végétaux. La Glycine odorante, aux grappes violettes, qui coure contre le mur de l'école. Le magnolia et ses fausses "tulipes" roses. Les vraies tulipes aussi, les jonquilles éclatantes. En automne les vieux poiriers de notre jardin se délestent de kilos de fruits. J'ignore encore que naîtra de tout cela un goût prononcé pour la nature.