Puisque Jérôme était marié, il fallait alors que je tombe amoureuse de quelqu'un d'autre, non pas que je le décidai consciemment bien sûr, mais tout de même cela me semblait nécessaire et salutaire. Je redoublais ma seconde année et me trouvais donc à cotoyer de nouveaux étudiants, ce qui était une bonne chose vu comment la toute première année de DEUG avait pu être éprouvante et décevante.

La nouveauté m'auréolait également, ceux qui avaient déjà passé une année ensemble, m'accueillaient avec le respect qui était dû non seulement à mon ancienneté mais également à mes compétences linguistiques et à mes connaissances du système interne de la fac, puisque j'y avais travaillé côté administratif pendant les inscriptions.

Parmi ceux-là que j'attirais, il y avait LE garçon, entouré de sa cour d'afficionadas, étant donnée la rareté de la gente masculine en fac de langues. Je le trouvais charmant, spirituel, intéressant et bon en économie, ce qui ne gâtait rien, quand il s'était agi de constituer un binôme pour un exposé imposé par Rachline qui m'impressionnait on ne peut plus.

Il était clair que je lui plaisais également, mais rien ne se passait, et fidèle à ma tradition de ne jamais approcher de la séduction active dès lors que j'en pinçais pour quelqu'un, j'attendais un signe plus concret, qui semblait ne jamais venir, et pourtant nous passions de plus en plus souvent du temps ensemble, il m'invitait chez ses soeurs, chez ses parents, chez qui il habitait en grande banlieue. Il était joli garçon, avait une voiture, faisait de la photographie, fréquentait l'élite de notre promo, était apprécié des profs et des étudiantes. J'étais flattée qu'il s'intéresse à moi, qu'il m'inclue dans son cercle d'amis, même si parfois j'avais du mal à me confronter à leurs tentatives de "sauvetage" quand ils me faisaient sentir que je ne fréquentais pas le bon milieu en dehors de la fac.

Pourquoi étais-je si mal à l'aise quand quiconque me disait que je valais mieux que la vie que je menais ? Pourquoi avais-je tant envie de me mettre en colère contre ceux qui, lucides, me mettaient en garde contre non pas mes fréquentations mais l'effet diminuant qu'elles pouvaient avoir sur ma propre estime ? Pourquoi refusais-je absolument d'entendre lorsque je recevais le moindre compliment ?

Je résistais du mieux que je pouvais et pendant ce temps je remplissais de questions angoissées mes cahiers et journaux intimes, je m'emplissais de toutes les substances toxiques que je pouvais et qui m'aidaient à tenir au quotidien, tout en m'abîmant sur le long terme. Je passais l'année entre exaltation, espoirs, colères et dépressions post défonces en tous genres. Le plus incroyable étaient mes résultats académiques, plutôt bons en général, et mon assiduité au travail, signes de la santé physique qui allait envers et contre tout me mener au-delà de l'effondrement. Surtout, je n'arrivais pas vraiment à demander de l'aide, malgré mes rendez-vous hebdomadaires à l'Hotel-Dieu, je ne criais au secours que silencieusement.

Un jour de juin, juste avant que je ne doive partir pour la Californie où j'allais passer un trimestre à l'Université de Santa-Barbara, mon brun ténébreux me convie à une séance de cinéma, nous allons ensemble voir le dernier Coline Serreau et à la sortie, enthousiastes autant l'un que l'autre de la séance, nous allons prendre un pot joyeux dans un café, où il me fait son coming out.

L'autre jour, Arthur Hidden publiait cet impromptu. Je me suis demandé s'il m'avait vue ce jour là ou quoi.