Le médecin de famille qui était venu à mon chevet est revenu quelque temps après, et cette fois-ci il ne me parle pas vraiment de mes globules blancs, mais de mon état général, qui semble l'inquiéter. Il me dit que si j'ai envie de faire quelque chose, je pourrai l'appeler quand je voudrais, qu'il me recommanderait à un de ses amis, qui se spécialise dans les problèmes de poids.

Cette fois-ci, il ne s'agit pas d'un obésologue, ni d'un gros monsieur silencieux derrière son bureau, comme ce psychanalyste vers lequel ma gynécologue, également de plus en plus alertée par mes tentatives avortées de juguler mes variations pondérales spectaculaires, m'avait orientée.

Cette fois-ci je rencontre quelqu'un qui non seulement m'écoute, mais me parle. Qui ne me juge pas et ne me donne pas de conseils, sauf un, étonnant, celui de ne pas m'inscrire en fac de psycho. Ce que je n'avais d'ailleurs pas l'intention de faire, mais je retiendrai la leçon, pendant des années, ne mettant surtout pas mon nez dans des ouvrages de psychologie, de psychiatrie, de psychanalyse, jusqu'à ce qu'un jour je finisse par céder, mais entretemps, je m'étais suffisamment fait ma religion, et c'est une autre histoire qui viendra peut-être.

Toujours est-il que l'Hotel-Dieu deviendra ma destination pendant au moins sept ans, un hâvre parfois difficile à atteindre, parfois trop nécessaire, plusieurs fois par semaine quand les choses iront vraiment mal. Pas question de m'hospitaliser, les consultations, d'abord hebdomadaires, puis bi-hebdomadaires, sembleront suffire. Je ne suis pas redevenue mince. Mais je ne me suis pas suicidée non plus.

Mes cahiers sont remplis de ce qui se passait à l'Hotel-Dieu et pourtant aujourd'hui, je ne me souviens de rien, pratiquement rien. Lui, il est devenu un spécialiste de renommée internationale sur les troubles du comportement alimentaire. Moi, il me le dira un jour, beaucoup plus tard, à l'occasion de retrouvailles dans des circonstances assez poignantes, j'allais devenir sa toute première patiente traitée en psychothérapie pour ces mêmes troubles, à une époque où ce n'était pas encore quelque chose de vraiment reconnu comme tel. J'en tirerai au moins cette fierté, et une reconnaissance éternelle qu'il m'ait confié cette place, et dans sa carrière et dans son coeur.




Si d'aucuns étaient intéressés, il y a cet assez long témoignage sur les TCA, rédigé en 2000 pour une association spécialisée, qui moyennant quelques détails identifiants falsifiés, est entièrement auto-biographique.