Je vis au 12 de la rue Carnot. On y entre par une grosse porte à loquet. Tiens, c'est bizarre, il y a longtemps que je n'ai pas vu de porte à loquet. Un long couloir dont le sol est en parquet, si vieux qu'il est même défoncé par endroit. Rez de chaussée: 4 portes et un escalier qui monte en spirale aux 2 étages supérieurs. Une rampe en bois vernie que la voisine du 1er astique à l'en faire briller.

1er porte à gauche: c'est l'entrée de service du tabac. Juste en face, la porte à droite, c'est la réserve. "la porte!!!!!!!!!!!!" Ca, c'est la voix de la commerçante, vieille fille, que les enfants indiffèrent, sauf quand il s'agit de les rabrouer. Elle marche avec une canne. Problème de hanches. elle a peut être peur qu'on la bouscule, c'est pour ça qu'elle râle tout le temps après nous. Dans son magasin, il y a plein de coupes, avec des bonbons, au couleurs agréables, et à l'odeur alléchante. Je m'assoie souvent sur le pas de la porte du 12. Je regarde avec convoitise les enfants du quartier, tenant dans leurs mains les précieuses pièces jaunes. Ils s'engouffrent dans le magasin pour en ressortir avec une petite poche blanche remplie du trésor que je convoite, des dizaines de bonbons aux formes et couleurs différentes, qu 'ils ont choisis avec soin: des carambars, que l'on suce pendant de longues minutes avant de pouvoir les mastiquer sans s'arracher les dents. Des oeufs au plat, des poudres, roses à la fraise, jaune au citron ou marrons au coca, des sucettes au caramel et bien d'autres douceurs. De temps en temps, une copine, en passant, m'accorde une partie du butin. Enfin! Je me retrouve la plupart du temps avec le carambar, le moins cher.

Mais reprenons la visite. La porte du fond, à gauche c'est celle de l'appartement du propriétaire. Lui aussi marche avec une canne, en raison de son grand âge. J'aime bien son appartement. Il regorge de vieilleries poussiéreuses. Et puis il a 2 portes fenêtres qui donne sur le balcon, côté cour. Ca fait riche. De temps en temps, je vais lui acheter son pain, ou son journal. Quand je rentre chez lui, ça sent le renfermé, le vieux. Et moi j'aime bien tout ce qui est vieux. alors j'ai le yeux qui furètent partout, et d'abord sur l'étagère Louis XV où s'entassent des centaines de livres reliés. Chez moi, il n'y a pas de livres, ou si peu. Les livres, je les emprunte à la bibliothèque, mais ils ne sont pas aussi beaux que ça. Ceux là, on a envie de les caresser, de les renifler, de passer son index sur le ruban rouge tout doux du marque-page. On a envie de les lire en prenant son temps, en fermant les yeux à chaque page, pour laisser l'imagination galoper dans les méandres du temps, pour ne plus lire mais vivre le livre objet. Et puis il y a l'armoire avec les portes en verre qui ferment avec une petite clef dorée. Est-ce que les bibelots usés, les assiettes ébréchées, les cocotiers d'argent, pourraient prendre la poudre d'escampette? Le vieux monsieur s'installe toujours dans le fauteuil Henri IV. Il a l'air confortable, bien que râpé et rapiécé. Lui aussi, c'est un vieux célibataire, mais il ne râle jamais après nous. Je crois qu'il nous aime bien. On retourne dans le couloir?

La porte du fond, celle qu'on oublie toujours de fermer (sauf quand la chaleur accable la cour, et qu'on se réuni dans le couloir pour être plus au frais), c'est celle qui donne sur le balcon et la cour, mais nous irons tout à l'heure.

Pour l'heure, montons dans les étages,  vous voulez bien? J'ai hâte de vous présenter mes voisins.

Premier étage: Porte de gauche: c'est l'appartement de ma copine. Nous avons le même prénom mais 2 ans d'écart. Néanmoins, nous nous entendons comme larrons en foire, surtout quand il s'agit de faire les pires vacheries à ma soeur, d'un an mon aînée, ou à son frère plus vieux de quelques années. Ma soeur et moi, nous l'appelons Frayssette, (son nom est Fraysse). Son frère, c'est Jean-Bernard. Il nous regarde de haut parce que lui c'est un grand. Et il se moque de nous quand on joue à la poupée mannequin sur le balcon de la cour. Alors pour l'embêter on chante à tue tête dans l'escalier: "Jamber! camembert! fromage vert!" Mais on a intérêt à courir vite, parce qu'il nous course jusqu'au fond du jardin et nous coince contre le muret pour nous faire payer nos propos outranciers en nous tirant les cheveux ou en nous faisant des chatouilles. Son père à ma copine, il est un peu bizarre, il a une maladie génétique qui lui donne une drôle d'allure, avec une peau granuleuse et un cheveu crépu. Ma copine aussi elle a ça, mais je le remarque même pas, vu que c'est ma copine, elle est jolie quand même. Quand à sa mère, je la trouve très belle, elle roule le R et a toujours le sourire.

Porte de droite. Elle est ouverte. c'est normal, elle est toujours ouverte la journée, sauf en hiver. Penchez la tête. Vous sentez? OUI, vous avez deviné: ça embaume les épices et la cuisine marocaine. Normal. Ils sont maghrébins. Vous entendez les rires? Normal, ça rie tout le temps là dedans. Monsieur et Madame Bel kadi sont les gens les plus gentils que je connaisse. Surtout lui. Elle, elle parle très mal le français et est un peu timide. Mais lui, Il a toujours de bonne humeur. Dès qu'il nous entend dans l'escalier, il passe la tête: " Bonjour les enfants, ça va? ça vous dit une assiette de couscous? On a fait des langues de chat, vous en voulez?" Chez eux, il y a des coussins partout, et des tapis aussi. On s'assoie par terre pour manger, à pleine main dans les grands plats ronds qu'elle pose à même le sol. Ils ont 3 enfants, plus jeunes que nous: Ahmed, Andhelagid et Rachid. Ils sont encore trop petits pour faire partie de nos jeux. Certains mauvaises langues diraient qu'ils sont bien sages pour des...... Moi je dis que j'ai de la chance de vivre à côté de gens aussi gentils.

Suffit les sucreries! Vous avez les mains toutes pégueuses. Allez, on monte au second.

Porte de gauche: l'appartement des Pedraglios. Eux aussi sont assez vieux. Ils ont pas d'enfants. Ils sont "à part" dans la maison: ils sortent peu et ne se mêlent pas aux autres locataires. A part le jour de l'an. Ce jour là, on est immanquablement invité à boire un petit verre chez eux, pour la nouvelle année. Ils nous servent la goutte dans de minuscules verres imitation cristal. On trinque à la nouvelle année et on s'embrasse sous le gui.

Porte de droite: Tatan!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!Vous voici chez moi. Enfin! Chez nous! On a de la chance, on habite le côté gauche de la maison: ce sont le plus grands appartements. 4 pièces, d'égale grandeur, formant un cube de 4 carrés. On passe ainsi de la cuisine au salon, du salon à la chambre des enfants. De la chambre des enfants à celle des parents. De celle des parents... A la cuisine. Petit détail, mais qui a son importance. Nous possédons.... Un WC, qui donne sur le salon. Pour la salle de bain, faudra que j'attende bien des années pour en avoir une. Les appartements de droite n'ont que 3 petites pièces, pas de salle de bain non plus. Et pour les toilettes, ce sera WC commun, à la turque, sous l'escalier de la cour.

Quand on se penche à la fenêtre, côté cour, on aperçoit Mme Bel kadi, qui étend une serviette sur le rebord. Au même niveau, plus à droite, c'est Mme Fraysse qui crie à sa fille que c'est l'heure de manger. Tiens, la voilà qui arrive du fond du jardin. Elle est encore en retard, elle va se faire engueuler.

Regardez comme il fait beau. C'est le temps idéal pour vous faire visiter la cour et les jardins. C'est parti. Dégringolons les escaliers 2 par 2 jusqu'au premier. ensuite, enfourchons la rampe et laissons nous glisser jusqu'au rez de chaussée. Ne vous en faites pas, la grosse boule de bois en bout de rampe, stoppera notre élan. Voilà, prenons la porte du fond, celle qui est toujours ouverte. Nous voici sur le balcon. D'ici on domine la cour et les jardins. Vous voyez la cabane au fond? c'est la limite de notre "propriété". Le balcon, il nous sert à jouer à la poupée. On prend son temps pour préparer. C'est qu'il y a le décors à installer, souvent fabriqués avec les moyens du bord: bout de planche et de tissu, petits vêtements confectionnés à la main. Quand tout est prêt, on est capable de jouer une journée entière sans même voir passer le temps. En bas de l'escalier: la cour. Ici c'est notre piste des 24h du Man. Jamber nous sert de guide, et nous prête même ses petites voitures, quand ce n'est pas sa grosse voiture à pédale. La bas, sous le perron, voici la pompe à eau. L'eau y est fraîche l'été et on aime bien s'asperger, même si on se fait un peu engueuler par le père de Frayssette, qui dit toujours que faut pas gaspiller l'eau qui sert à arroser le potager. Il y a allée centrale qui mène à la cabane du fond. De chaque côté, les jardins. Celui de mon père, c'est le 3ème à gauche. Là où il y a les clapiers. J'ai même 2 cochons d'inde, vous voulez voir? Ils sont mignons, vous trouvez pas? Je m'amuse à les habiller avec les habits de ma poupée. Je sais, c'est pas très bien pour eux, mais qu'est ce que c'est rigolo! L'été, j'aime bien venir cueillir des tomates. Je vais les rincer à la pompe et je les mange, tête penchée en avant pour ne pas salir mes vêtements. C'est juteux, c'est frais, c'est tellement meilleur que dans l'assiette. Je vais vous montrer ma cachette secrète. Cette petite cabane en pierre qui a l'air à l'abandon, nous l'avons emménager. C'est notre quartier général. Je vous ai pas dit? on a monté une organisation secrète. Notre emblème, c'est le trèfle à 4 feuilles. Il y a Frayssette et moi et puis ma soeur et Daniel, mon ami d'enfance qui habite de l'autre côté du pont. On résout des mystères. Sisi, comme fantômette, qui est notre idole, ou le club des 5. On réalise des exploits aussi. Le prochain mystère à résoudre? Découvrir Qui a taggé sous le pont de Massip. Notre prochain exploit? traverser le fleuve, sur la passerelle qui se trouve sous le pont du chemin de fer. c'est dangereux, mais terriblement excitant. Moi, je me dégonfle jamais, c'est pas comme Frayssette. Mais chut et bouche cousu: pas un mot aux parents. Allez, demain, je vous fait visiter la ville.