C'est là que les choses deviennent de plus en plus confuses. Désormais, je ne saurai plus jamais si ce que je raconte est vrai ou si c'est mensonge. Je commence à ne plus comprendre ce qui m'arrive qu'après coup, en général, bien longtemps après, quand il est bien trop tard pour prendre la décision qui s'impose. Et ce qui s'impose semble l'être d'un autre monde, décalé, mensonger. Bizarre.

Ils ont tous crû que j'avais été la petite copine de Jérôme. L'ado au maillot de bain et à la petite Daf rouge dont je continuais à me languir platoniquement, était déjà depuis plusieurs années en fac de pharmacie quand moi je passais seulement le bac.

Surtout, il avait déjà rencontré Blueberry, et celle-ci était ma confidente, comme elles le deviendraient par la suite presque toutes : que savaient-elles de moi que je ne savais pas, qui leur disait que je comprenais mieux qu'elles, que je savais décoder les intentions, que je pouvais lire les comportements, que je pouvais entendre les doubles sens, et même ceux qu'on se cachait à soi-même ? Comment savaient-elles que j'étais medium, et que comme toutes les personnes au psychisme si perméable, pour me protéger de ma propre fragilité, je n'existais pas ?

Je conseillais donc Blueberry, pour qu'elle puisse mener à bien son entreprise de séduction de l'homme qu'elle avait décidé de se choisir, d'épouser, quoi qu'il advienne. Pourquoi étais-je si souvent invitée toujours dans leur duo ? Je ne me souviens pas. Je revois tous les studios où avait emménagé Blueberry, peut-être celui de sa soeur aussi, avant de revoir celui où finalement mariés ensemble, ils continueraient de m'inviter à dormir assez souvent.

Je confonds les lieux et les années sans aucun doute. Je rêvais tellement d'avoir été Blueberry, c'est moi que je voulais ressentir dans les bras de Jérôme, pas savoir que c'était elle qui s'y lovait. Je n'étais pas jalouse, j'étais spectatrice, j'étais passante, j'étais la go-between éternelle.

Et c'est moi qui ai attrapé la mononucléose qu'il avait contractée, la maladie du baiser. Tous les copains m'ont charriée, mais Blueberry m'a fait confiance, elle n'a pas douté de moi, en tous cas pas ouvertement, ou bien alors, nos dénégations conjuguées ont suffi à la convaincre, elle tenait trop à Jérôme pour l'accuser si tous les deux nous jurions de notre innocence. Jamais je n'aurais "piqué" un homme à une copine, jamais. J'attendrai d'être plus vieille, plus mal barrée encore, ou d'être encore plus une autre sorte d'entremetteuse décalée, par procuration..