Dès qu'on l'a entendu se lever, je suis repartie me glisser dans mon lit.

-"Qui a parlé?" a t-il hurlé.

Je tremble, je sais déjà que rien ne va l'arrêter. Ca n'arrive pas souvent, mais quand ça arrive, rien ni personne ne peut l'arrêter. Son regard est comme fou, ses gestes sont saccadés, ses muscles tremblent sa colère.

Aucun son ne sort de ma bouche. Je suis tétanisée. je sens qu'il peut me tuer, je crois qu'il peut me tuer.

-"Qui a parlé?" répète t'il. Il est tout près de mon lit.

-"Moi!" Dit elle d'une voix claire et sûre.

-"Salope! T'as pas fini de nous faire chier!" Et il se met à frapper.

Elle s'est recroquevillée dans le lit, protégeant sa tête et son ventre. Je le sais, elle fait toujours ainsi. Je fais de même. Après, après, si sa colère n'est pas passée, ce sera mon tour sans doute.

Il tape, tape, encore. Elle ne gémit pas, reste silencieuse. Il prend la chaussure et frappe plus fort. Il hurle des insultes.

Je suis une vraie statue. Je pèse des tonnes dans mon lit. Je voudrais m'enfoncer, m'enfoncer dans le matelas et disparaître. Je reste muette. Je voudrais parler, faire cesser les coups mais mes muscles refusent de m'obéir.

Lui s'acharne. Je sais ses yeux injectés de sang, je sais sa colère qui transpire par toutes les pores de sa peau. Je sais sa folie quand il perd le contrôle.

Je ne dirai rien, je resterai de marbre, mes bras protégeant ma tête. Je sauverai ma peau. Puis je l'entendrais marcher dans la chambre, passer au pied de mon lit sans s'arrêter. Soulagé, calmé, il retournera se coucher.

Elle ne bougera plus de la nuit. Moi non plus, trop peur qu'il revienne. J'imaginerai le pire et j'égrènerai les heures, finissant par m'endormir exténuée d'avoir pleuré en silence.

Au matin, elle se glissera dans mon lit, son corps tout endolori.

On se serrera l'une contre l'autre, on réchauffera son corps douloureux et nos âmes blessés.

Elle me glissera à l'oreille:

-"Ne t'en fais pas, je vais bien. T'as bien fait de pas bouger, il t'aurait tuer. Quel con!"

Souvenir de mes 10 ans qui hante encore mes nuits. A la suite de cet événement, je suis devenue somnambule, pendant 10 ans.

Je tiens à préciser que la violence de mon père était épisodique. Il a très peu levé la main sur nous. Mais à chaque fois qu'il l'a fait, cette violence était incontrôlable et incontrôlée. Cela s'apparentait à une folie destructrice à notre égard. Il ne frappait pas pour nous punir, pour nous faire mal. Il frappait pour soulager sa propre angoisse, ses propres incompétences. Ce n'est pas nous qui étions visées mais plutôt ses propres frustrations, ses propres échecs. Il déchargeait sa colère et cela ne s'arrêtait que lorsqu'il n'avait plus de colère à déverser.

Ce n'est pas tant ses actes violents qui m'ont marqués, mais les circonstances dans lesquelles cela arrivait. J'aurai peut être accepté si j'étais punie d'une faute grave. Hors c'était à chaque fois pour des "broutilles". La punition était injuste et non fondée. Je me souviens un jour l'avoir vu se transformer en bête furieuse pour un verre de vin renversé sur la table, ou un mot déplacé.

C'est à ce moment là que j'ai commencé à le mépriser. Mais cela faisait déjà longtemps que j'avais compris que je ne l'aimais pas.