Réorganiser sa vie en prenant en compte l'enfant. Ne plus penser "deux", mais "trois". Retrouver ses repères, trouver sa place. Assumer, en un mot, ce changement de vie que j'ai voulu, désiré, attendu même.

Je guette au fil des mois le sentiment d'épanouissement, de réalisation, d'accomplissement qu'est sensé apporter la maternité. Mais ne voyant rien venir, j'en conclue que ma vocation n'était sans doute pas là. Je suis physiquement faite pour avoir des enfants, dira mon médecin après la naissance de la deuxième. Peut-être, mais pour ce qui est de les élever, ce n'est franchement pas mon truc.

Bien sûr, je suis heureuse de ma fille. Mais je suis loin d'être la mère fusionnelle dont on gave les futures mamans. Je ne la rejette pas, loin de là, mais je ne la recherche pas non plus. M'en occuper relève du "normal", du "logique" et ne m'apporte rien de particulier. Je suis une très bonne mère nourricière - l'instinct maternel est sans doute et avant tout l'instinct de conservation. Mais je mettrais quelques mois (... années) avant de pouvoir considérer que j'aime ma (mes) fille(s).

J'aurais eu de longues discussions avec ma propre mère sur ce sujet, mais de ce côté-là, elle me ressemble assez. C'est une mère qui assume, presque surprise quand ses enfants lui témoignent une marque d'affection. Ne me remerciez pas, je n'ai fait que ce que j'avais à faire... Ceci explique peut-être cela...

Je crois que, quelque part, je suis sans doute déçue (mais peut-être me faisais-je trop de "films" sur ce qu'était la maternité ?) qu'avoir un enfant soit si... banal ? Je m'imaginais (mais l'imagerie sociale y joue pour beaucoup aussi) que devenir mère m'aurait "transformée". Peut-être que j'attendais trop (quoi ? jen'en sais rien au juste). Mais le fait est qu'au lendemain des naissances, je ne me suis sentie ni plus ceci, ni moins cela. Bref, ce n'est pas dans l'enfantement que j'aurais le sentiment d'avoir fait quelque chose de ma vie.

La seule chose qui change (mais est-ce lié ou non ?), c'est que j'ai désormais franchi un palier dans ma perception de mon existence. Souvent, j'ai des images-flashs qui surgissent lorsque j'évoque pour moi-même des idées abstraites. En 2002, celle qui domine, c'est le toboggan.

Jusqu'à présent, je gravissais l'échelle du toboggan, puis j'étais sur le palier. Et là, je viens de me lancer sur la descente. Ma mère me parle de "croisée des chemins" mais je lui réponds que c'est plus fort que ça : non seulement je suis partie sur un chemin, mais en plus je ne peux plus remonter sur le palier du toboggan . J'ai le sentiment, avec cette image, que ma vie, mon schéma de vie, a pris un tour inexorable. Irrémédiable (sauf au prix d'efforts considérables). En gros : c'est parti et on verra bien comment tu vas atterir en bas du toboggan. Et ce sentiment va prédominer les années précédant mes trente ans. Comme une "condamnation" à descendre ce plan incliné (que j'ai délibérement grimpé, ne nous trompons pas) sans pouvoir faire autrement que d'aller jusqu'au bout, jusqu'en bas. Pas d'autre chemin possible. Presque un enfermement volontaire. Cette image assez terrible qui m'est venue un jour de promenade dans la forêt de Paimpont (je m'en souviens très bien) traduit fidèlement mon état d'esprit cette année-là... et explique peut-être les événements qui suivront dans les années d'après.

Comme un rejet de la fatalité.