Le CM2 commence par une maladie. Je garde la chambre plusieurs semaines, j'ai une double otite. Je l'ai attrapée à Chamonix, en montant à la Mer de Glace. Je suis donc considérée comme "fragile des oreilles".(Ca me rendra hypocondriaque de la décompression quand je ferai de la plongée sous marine 10 ans plus tard.) A ce propos je suis aussi fragile des bronches, comme ma grand mère couseuse, dite Couvretoncou. (Ce qui ne m'empêchera pas de commencer à fumer dans 6 ans.)

Le CM2, c'est la démocratie : nous élisons des délégués, qui font campagne à coups de carambar, nous avons une monnaie interne, le dulbi, que la maitresse nous distribue en guise de bon points. Deux fois par mois, nous organisons une kermesse. Chacun amène des petits jouets et les vends contre X dulbis.

LE CM2 c'est l'ouverture aux autres. Chaque mois, nous piochons le nom d'un camarade de classe, avec pour mission l'observer secrètement pendant un mois. Le délai écoulé, on lui écrit un mot pour lui parler de lui. A Jean Louis, le caïd redoublant, j'écris avec mon stylo 12 couleurs parfumé "Tu pourrais être plus gentil avec les autres et mieux te laver. Mais je t'aime bien quand même." Il me jette le mot à la figure en disant que c'est moi qui pues. (Heureusement, aujourd'hui, après des années de galères et de délinquance, Jean Louis a un travail et une famille. C'est l'un des "protégés" de mon père.)''

Le CM2, c'est l'Europe. L'année dernière, le mur de Berlin est tombé. La France tend la main à l'Allemagne en passant par l'Alsace, comme toujours. Des classes bilingues s'ouvrent de chaque coté du Rhin, dont la mienne. C'est une langue rude, qui grésille dans mes oreilles. Pourtant, j'aime écouter l'alsacien de mes grands parents. Je ne fais aucun effort pour apprendre et j'entre en conflit avec la maitresse. Elle fait venir mes parents. Elle m'aime beaucoup cependant, elle aime que je lise pendant les récréations, que je sois curieuse en classe, que je rende mes dictées et mes rédactions sans fautes. (Je l'ai revue l'année dernière. Elle m'a regardé avec tendresse, et m'a demandé si je lisais toujours en cachette derrière mon banc. J'ai dis oui, d'un air penaud.)

Le CM2, c'est l'ouverture sur le monde. 17 janvier 1991, la maitresse a l'air triste ce matin. Elle nous explique que là bas, loin à l'Ouest, une guerre vient d'être déclarée. Le Golfe et le Pétrole. Je ne comprends pas tout, mais ça à l'air grave. (C'est de plus en plus grave.)

Le CM2, c'est enfin la musique. Nous partons en classe musicale. Nous apprenons à chanter, bouger en rythme et jouer d'un instrument. A mon retour, je supplies maman de m'inscrire au solfège. Le directeur de l'école de musique est dubitatif : l'année est déjà bien avancée, vais-je pouvoir suivre ? Je suis très assidue, et j'apprends avec passion à jouer de ma flute à bec. (J'ai repris ma flute à bec l'année dernière, pour le concert de Noël de ma chorale. J'étais toute rouillée, et paralysée par le trac. Mais l'envie et l'assiduité étaient intacts.)

Le CM2 c'est l'élan avant le grand saut dans l'adolescence. Je prends des forces pour la prochaine décennie. (J'ai complètement oublié de faire ça à 20 ans.)