Son bois est sombre, sa sonorité chaleureuse, sa mentonnière patinée. C'est un Mirecourt du XVIIIème, cordé en Dominant. Un batârd, autrement dit un violon conçu juste un peu trop grand, dont la caisse a été bombée pour le transformer en petit alto - à la limite inférieure de sa gamme, un trente-huit centimètres, loin des quarante-et-quelques des Stradivarius et autres Guarneri, mais adapté à mes petites mains.

Chaque jour, j'en joue au moins une heure, le mercredi, je suis toute l'après-midi à l'école de musique, orchestre, cours d'alto, musique de chambre, solfège, composition. J'aime poser l'étui à plat, défaire les pressions, la fermeture éclair, la fermeture clic, retirer le tissu protecteur, nettoyer les cordes, tendre et colophaner l'archet. Ma technique se fait honorable, ma personnalité musicale se développe, et je peux enfin, d'une part, savoir comment je veux faire sonner le morceaux sur lequel je m'échine, et d'autre, comment atteindre mon but.

Mon univers musical se limite alors majoritairement au classique ; je différencie avec bonheur romantisme, classicisme, moderne, contemporain, baroque, grégorien, et me plonge avec délectation dans l'étude des courants, des compositeurs, des formes musicales et de l'évolution des instruments. Ma préférence de matheuse sage va au baroque, évidemment ; Vivaldi, Bach, Scarlatti, Marin Marais, Pachelbel, Telemann, Purcell, Haendel, Lully... Mais je passe surtout des heures à écouter les altistes. Ma préférence va à Tabea Zimmerman, Nobuko Imai, Yuri Bashmet et Gérard Caussé. William Primrose, Lionel Tertis et Paul Hindemith ont aussi leur place dans ma discothèque. Je lis aussi tous les ouvrages que je peux trouver sur l'alto ou le violon, avale des pavés de Yehudi Menuhin, guette chaque semaine le Telerama dans lequel je dénicherai peut-être une oeuvre pour alto sur France Musique...

En sus, je passe la majorité de mes pauses et autres déjeuner en compagnie d'une joyeuse bande de lycéens musiciens ; il y a un flûtiste que je connais depuis l'école primaire, un clarinettiste aux yeux doux, une violoniste-guitariste dont je suis presque inséparable, un contrebassiste vainement amoureux d'elle, et deux adorables gars qui ne comprennent rien à la moitié de nos conversations. Quand je ne traîne pas avec eux, je suis avec l'accordéoniste de mon cours de solfège ou un pianiste autodidacte.