LE SANG.‎

Quand je devais y passer, mille recommandations m’étaient faites qui ressemblaient fort à des ‎interdictions absolues. Ne jamais traverser l’axe. Toujours rester du côté du coteau, le côté du coteau ‎j’aimais bien et depuis je calembourdis, tu n’as rien à faire sur l’autre rive, la boulangerie est aussi côté ‎coteau, c’est pas coton. Je dois te dire que la boulangerie était réputée pour ses gâteaux, et les ‎dimanche où il avait du monde je devais aller le chercher là bas, côté coteau du carrefour de la mairie ‎d’Issy.‎

Je n’ai jamais aimé le gâteau du dimanche de cette boulangerie avec la crème au café ou au chocolat ‎qui les gonflait en ce temps là. Je n’ai jamais aimé la crème des pâtissiers pas plus aujourd’hui qu’hier ‎et elle me le rend bien. Mais je devais marcher les quatre cents mètres nécessaires, en suivant l’axe ‎côté coteau.‎

Le cri des pneus glissant sur le pavé abrasif et sec a traversé le carrefour et a rebondi de vitrine en ‎devanture. Le temps de me retourner quand je me préparais à entrer dans le magasin, une foule dense ‎s’est formée en travers de l’axe bouchant la vue. Parisien badaud génétique je suis, je m’approche. ‎Tout le monde est là, comme le jour où Marion Margaux dans la chanson donnait la gougoutte à son chat. ‎Difficile de traverser la forêt de jambes. Mais une foule bouge toujours, la pression baisse parfois et le ‎gamin malingre gagne des décimètres.‎ Je suis encore loin quand un mouvement plus marqué ouvre une enfilade droit sur la scène et j’ai vu le ‎sang du monsieur.‎

Il est allongé sur le sol devant la calandre de la 203 noire même pas mal la calandre, une main lui tient ‎la tête, venue de derrière les jambes emmêlées des gens, et le sang coule de sa tête, goutte après goutte, ‎de grosses gouttes qui se courent les unes après les autres, pressées d’en finir. Une flaque en dessous.‎

L’enfilade est refermée, mais déjà je suis parti, sorti de la foule, dans la pâtisserie. Trois secondes ont ‎dû s’écouler depuis le cri. Je demande mon gâteau et pas mon reste, et je rentre sagement à la maison.‎

Le lendemain la maîtresse qui habitait au dessus du carrefour nous a dit qu’il fallait toujours faire ‎attention en traversant la rue même quand le feu est rouge, sinon une voiture pouvait vous renverser et ‎vous tuer à la tête.‎ L’accent alsacien en plus.‎

à suivre.