2000 est une année de transition, de dépressif inactif et solitaire à apprenti journaliste heureux de vivre. C’est le journalisme qui m’a sauvé. Au début je devais juste faire un stage d’observation dans le canard local, et puis très vite j’ai été accro. J’ai eu la chance de tomber sur une petite équipe qui était presque comme une famille. Ce sont eux, devenus amis, qui m’ont sorti de mon trou, sans même que je m’en rende compte.

Car si, avec le recul, je peux dire objectivement que j’ai fait une dépression, à l’époque, je ne m’en rendais absolument pas compte. On glisse petit à petit, et on finit par réaliser que l’on est tombé bien bas le jour où l’on touche le fond, pas avant. Et pourtant, ça crevait les yeux: pendant des mois, j’ai glandé tout seul dans mon petit appartement à Bordeaux, alors que j’étais censé aller en fac d’histoire (en réalité j’ai suivi les cours pendant deux-trois mois, pas plus). Je ne sortais que pour aller à la Fnac ou au ciné,dont j’étais devenu un boulimique (jusqu’à 20 séances en un mois!). D’ailleurs je rêvais de faire du cinéma. Quelquefois je retrouvais les autres membres d’un journal étudiant dont je faisais partie: c’était ma seule vie sociale. Je vivais par procuration, à travers ce que je voyais dans les salles obscures.

Parfois, même quand le frigo était vide, je préférais dépenser mes derniers francs dans une place de cinéma plutôt qu’aller faire le plein au supermarché. Certains jours, je ne m’alimentais que de céréales et d’eau sucrée. Pourtant je ne perdais pas de poids: je n’avais aucune activité physique. Mais j’avais une mine de déterré.

La radio était ma meilleure amie, ainsi que mon jeu de carte: je faisais des patientes pendant des heures en écoutant Rires et Chansons. J’alignais des statistiques imaginaires sur des joueurs de tennis ou des équipes de basket tout autant imaginaires. Je compensais ma misère sentimentale et sexuelle en triste séances de masturbation, après lesquelles je me sentais toujours mal. Pas coupable (je n’ai jamais considéré que se tripoter, c’est pas bien), mais seul. Pathétique. Avec une existence aussi misérable, pas étonnant que j’avais envie de m’évader vers le monde merveilleux du grand écran.

Et pourtant j’avais une (je ne trouve pas d’adjectif pour la qualifier) envie de vivre! Une envie qui étouffait, et ressortait par bouffées dès qu’elle en avait l’occasion, comme lors de ce fou week-end à Rennes avec le journal étudiant. Envie de faire entendre ma voix, aussi (c’est pour cela que je rêvais de faire du ciné, ou alors de la politique), même si c’est pour raconter des bêtises. C’est cette année-là que j’ai vraiment commencé à éprouver le besoin d’écrire. D’où le journalisme, que je n’ai jamais délaissé depuis.

C’est aussi cette année-là que je suis allé pour la première fois rendre visite à mon artiste de père, échoué depuis plusieurs mois dans un village perdu dans les monts du Beaujolais. Pour moi, ce fut, comme ce le sera désormais à chaque fois, une cure de nature et de méditation. Pour les autochtones, il restera un incompréhensible farfelu, dont les idées bizarres font peur. Mon père n’est pas dangereux, mais il remet en question beaucoup de choses sur le plan mystique notamment, et il est aussi difficile à suivre que Nietzsche pour un enfant de 10 ans. Il n’est pas comme tout le monde, et ça dérange. Moi-même j’ai souvent du mal à le comprendre, ou à accepter ses idées. Il en a toujours été ainsi. Mais je me dis que d’une certaine manière, j’ai de la chance d’avoir un papa pas comme les autres.