Un soir d'été chez Jeanne, dans le jardin de sa maison de campagne. Des bougies, un buffet joliment décoré, des gens que j'ai plaisir à retrouver, la soirée s'annonce joyeuse. Des convives passent de vieux 33 tours des années 80, que nous reprenons en choeur, l'ambiance est bon enfant. Maureen est excédée par cette musique qu'elle juge commerciale et déteste. Impatiente, elle commence par faire quelques réflexions, on lui répond, le ton monte. Quelqu'un éteint le son, l'ambiance devient électrique et c'est sous ce prétexte que commence une scène de ménage entre Niels et Maureen. Cette scène de ménage marque le début de la fin de notre amitié.

L'amitié reste un continent inexploré. Abreuvés d'histoires d'amour dès l'enfance, nous semblons croire que l'amitié, elle, va de soi, qu'elle s'écoule tranquillement au fil des années, dans la sérénité. Pourtant certaines de nos histoires d'amitié sont passionnelles et compliquées.

Mon histoire d'amitié avec Maureen était de celles-là. Maureen elle-même était passionnée, entière, passant de la joie la plus entière à un chagrin incompréhensible. Elle formait avec Niels un couple flamboyant, fatigant, sans concession. Je les aimais tous les deux et quand j'avais du mal avec ma propre vie, je me laissais glisser dans leur ombre, éternelle amie, pourvoyeuse de conseils et épongeuse de larmes. Leurs excès me reposaient des miens.

C'est lors de cette soirée chez Jeanne que pour la première fois Maureen m'a lassée. Une brèche s'ouvrait dans notre amitié : j'avais envie de m'amuser, de profiter de la douceur de ce soir d'été chez des hôtes charmants, j'en ai eu brusquement assez de l'atmosphère de drame qu'elle instaurait, une fois encore, la fois de trop.

Plusieurs années se sont écoulées avant que nous cessions de nous voir mais finalement, de l'année 1999, je retiens seulement ce moment là, cette sensation de froid intérieur et d'exaspération. D'un banal jeu de société était sortie à mon insu une lame de tarot, celle de l'ange noir de la rupture.