Je n'ai jamais eu le sens de la famille. Rien d'étonnant à cela. Mes parents ont passé la majeure partie de leur vie à tenter de s'autodétruire mutuellement, physiquement, psychologiquement, juridiquement. Mes oncles et tantes maternels sont des gens très gentils, mais je n'éprouve pas de plaisir à les fréquenter, n'ayant que peu d'atomes crochus avec eux. Quant à mes oncles et tantes paternels, ils cumulent tout ce que je ne supporte pas chez autrui : la famille juive inquisitrice et castratrice qui se mêle de vos affaires et vous juge rabaisse continuellement, la religiosité aveugle, l'esprit de clan, les discussions où le hurlement hystérique et l'indignation outrée tient lieu d'argument.

Je fuis comme la peste toute réunion familiale obligatoire, fêtes de Noël ou anniversaires – et mes collègues de boulot m'adorent, moi qui me porte toujours volontaire pour les astreintes les nuits de Noël ou du nouvel an, moi qui me rue sur toute mission à l'autre bout de la France dès lors qu'on est en période de fêtes.

Mais à vivre avec Vénus, je me réconcilie peu à peu avec la notion de famille. Chez elle, les parents sont aimants et équilibrés, les oncles et tantes sont agréables et cultivés, les repas de famille sont de vraies fêtes où tout le monde s'amuse. Je découvre un monde inconnu pour moi. Au point qu'en 1996, j'accepte même de passer le réveillon de Noël avec eux. Et à ma grande surprise, j'y prends un grand plaisir !

Évidemment, ça ne dure pas. La rupture de nos fiançailles l'année suivante me ramène d'un coup à mes vieux schémas négatifs. Pire, mon homosexualité nouvellement assumée aggrave encore mes relations conflictuelles avec mes oncles et tantes les plus conservateurs. Oh, ce n'est pas qu'ils désapprouvent ma sexualité ! C'est juste qu'ils sont incapables de l'intégrer vraiment et agissent comme si elle n'existait pas, s'étonnant ouvertement à chaque fois que nous nous voyons de ce que je ne sois pas encore marié à mon âge et me pressant de recommandations pour draguer les belles jeunes femmes. Le déni ostensible, voilà qui est peut-être pire que le rejet. Crétins !

Vraiment, je n'ai jamais eu le sens de la famille. Ça a failli cette année-là, mais finalement non.