J’ai passé en 2001 le meilleur de mes Noël. Le 24 décembre, convocation dans le bureau de Grand chef, accompagné du rédac’chef. Chouette, ils vont m’annoncer officiellement que je vais être titularisé, après m’en avoir chacun parlé à plusieurs reprises. En CDI à 20 ans, en plus dans ce métier qui me plaît tant! Waouh! Ce soir on va ouvrir le champagne!

Je ne sais plus très bien ce que l’on s’est raconté lors de cet entretien officiel. Mais le soir du 24, je n’ai pas ouvert le champagne. Le 25 encore moins. J’étais sonné. Alors que depuis trois semaines, le CDI à partir du 1er janvier semblait acquis (c’est Grand chef lui-même qui me l’avait dit), la direction a finalement changé d’opinion la veille de Noël. Merci du cadeau!

Mon contrat court jusqu’au 31 décembre. Autant dire que la dernière semaine, je ne suis pas été très productif. C’est marrant, personne ne m’en veut! Je fait même n’importe quoi: un week-end, j’emprunte en douce pendant deux jours, à des fins personnels, l’une des voitures officielles de l’entreprise. Quand je reviens le lundi matin, «l’affaire» est dans la bouche de tous mes collègues. Une voiture a disparu semble-t-il le vendredi soir, la direction a appelé la police qui n’a pu que constater, et le lundi matin très tôt, quand les premiers employés sont arrivés, l’auto était miraculeusement de retour! (Evidemment, ç’aurait pas été prudent de ma part de me pointer au volant de la voiture à 9 heures du matin).

Suite à ce magnifique Noel, je fais une petite déprime d’un bon mois et demi, avant que le journal me rappelle: ils ont besoin de moi. Rien que par fierté, j’ai failli dire non. Et puis… j’y vais. Ma meilleure revanche serait de montrer à ceux qui n’avaient pas voulu de moi qu’ils se sont trompés à mon sujet.

C’est à ce moment, les tous dernier jours de 2001, que je commence à songer à une reprise d’études. Un long cheminement dans ma tête qui finira par me conduire à l’IUT de journalisme de Tours, près de deux ans plus tard. Un long cheminement, parce que les études que j’avais plus ou moins suivies avant ne me plaisaient pas et que je ne voyais pas ce que l’université pourrait m’apporter; parce que j’avais commencé à travailler avec un vrai salaire dans la branche que je voulais, et que je m’étais dit bêtement: tu vas leur prouver qu’aujourd’hui encore on peut très bien s’en sortir en ayant juste le bac.

Ben tiens! Prétentieux, va! Et puis, prouver à qui? Ta famille? Non, c’est pas le but. A tes vieux profs qui pensaient que tu étais trop glandeur et que tu n’arriverais à rien? A tes collègues de lycée qui voulaient faire des bac+5 et des grandes écoles et tout le tralala? Oui, c’est un peu de tout ça, j’avoue. Comme une envie de vengeance. Mais me venger de quoi? Je ne sais pas… de ne pas avoir eu véritablement d’amis ni de vie sociale quand j’étais au lycée, peut-être… J’en reparlerai…


***

Ca ne me plait pas beaucoup, mais il faut que je raconte ici «mon» 11 septembre 2001. Il se trouve que j’ai allumé la télé cet après-midi-là. Je me rappelle très bien, je voulais regarder je ne sais plus quoi, et au lieu de ce je-ne-sais-plus-quoi, j’ai vu un plan fixe de l’un des deux tours en train de flamber. «Zut, c’est quoi ce navet hollywoodien? ils ont changé la programmation». Soudain, la voix métallique de David Pujadas. Et là je me dis: tiens? ce serait un film français? (ben oui, ça arrive dans les films que l’on entende les vrais présentateurs de JT donner des fausses nouvelles). Curieux tout de même. Et puis en un éclair je comprends.

Eh bien ça m’a fait ni chaud ni froid! A mes yeux habitués aux images d’explosions, de violence, de films catastrophes, la vision des Twin Towers en flammes, percutées par deux avions, n’a rien d’extraordinaire. Même les gens sautant du 60e étage pour essayer désespérément de se sauver, petits corps ballotés par la vitesse de la chute, ne provoquent pas chez moi d’émotion particulière. Et pourtant, autour de moi, je vois des gens choqués, bouleversés par la nouvelle.

Sur le moment, je ne réalise pas la portée de l’événement. En fait j’ai autre chose à penser: j’attends avec impatience le coup de téléphone de mon rédacteur en chef, qui doit me confirmer mon affectation à un autre service pour octobre. D’une certaine façon, je vais monter en grade après mes trois premiers mois de CDD. A force d’impatience je finis par l’appeler pour lui demander confirmation, cet après-midi même. La chose à ne pas faire, évidemment. Avec les attentats, il doit être un peu occupé. Du coup, mon appel doit lui paraître bien futile et égocentré: «Tu as vu ce qui se passe à New York?» lance-t-il avec un ton un peu rude. Et moi je lui sors une réponse idiote du genre «oui j’ai vu ça, dis donc!» et puis rien de plus. Ca commence bien! Heureusement il n’a pas trop de temps à perdre, donc il ne relève pas la vacuité manifeste de ma réponse.

Insensible, moi? Non. Ce n’est qu’un peu plus tard ce jour-là, que je réaliserai combien, face à l’abondance de scène violentes que l’on peut voir chaque jour à la télé (ou dans les jeux vidéos), l’esprit humain devient peu à peu incapable de discernement. Pour moi, les images terribles que je voyais n’étaient pas plus (ni moins) réelles que celles d’un film catastrophe. Il a fallu que je reprenne mes esprits pour que je me rende vraiment compte de ce qui était en train de se passer réeellement. C’est plus cette prise de conscience qui m’a fait un choc que l’événement en lui-même. Dans notre société d’hyper-communication, les mots, les images, la musique perdent de leur sens, de leur force. La surabondance d’informations dilue notre capacité de réaction, notre sens critique. Alors depuis ce jour-là, le 11 septembre 2001, je regarde la télé autrement. Avec plus de distance. Ou je ne la regarde pas.

Mais pour moi, et je l’affirme aujourd’hui, le 11-Septembre n’est pas plus grave et choquant que les massacres au Kosovo ou la guerre en Irak ou le génocide rwandais. Les Etats-Unis ont récolté la tempête du vent de mort et de peur qu’ils avaient semé. Evidemment, la mort dans de telles conditions de milliers de personnes innocentes est toujours tragique. Mais dans mon for intérieur, je suis persuadé que si le même événement était survenu dans n’importe quel autre pays du monde, on n’en aurait pas parlé autant. Plus la cible paraît puissante et intouchable, plus l’on parle de sa chute. Et plus les cailloux sont grands, plus l’onde du choc des ricochets se répand…