L'autre homme, c'est celui qui a fait que Maman a quitté Papa. C'est aussi son existence qui a permis à la Grande Dispute d'éclater. Mais cela, je ne le saurai que bien des années après.

J'ai eu "l'honneur" de le rencontrer avant tout le monde. Au cabinet médical où travaillait Maman - et où il exerçait sa vocation de médecin.
Il m'a prise d'office dans ses bras, tout sourires. J'étais gênée de ce contact subi(t) avec cette personne inconnue. Mais en petite fille bien élevée, je lui ai rendu son sourire.

Cette année, nous habiterons chez lui, chez nous, au gré des jours. Je reste seule avec le petit frère le mercredi. Dans la maison de l'autre homme, une vieille maison bienveillante, toute de bois blond qui grince et de papiers peints passés.
Je m'y plais, tant que nous y sommes seuls. Quand Maman et l'autre homme reviennent pour déjeuner, c'est le défilé des vérifications : a-t-on bien rangé la chambre ? Dressé la table ? Débarrassé le lave-vaisselle ? Son regard noir, inquisiteur, menace. Nous regardons nos pieds pendant l'inspection impitoyable. Une grande pièce lunaire de 5 francs nous récompense de nos efforts, le plus souvent. Mais parfois nous n'avons droit qu'à un sermont.

Lorsqu'ils sont absents, le petit frère et moi jouons volontiers ensemble. Dès qu'ils reviennent, la guerre reprend. Je suis jalouse des attentions qu'il s'attire, lui l'enfant si rieur, si agéable. Je ne sais qu'être distante, farouche, solitaire.
Sauf avec Maman et l'autre homme, qui m'apprivoise peu à peu. Il faut dire qu'il jouit d'un atout de poids vis-à-vis de nos besoins de référent paternel : il est là.
Lui.