C'est un jour de printemps, je crois. Il me semble que je suis habillée légèrement, qu'il y a du soleil dehors. C'est un matin. Je suis devant mon miroir, je me maquille. Pourquoi ce jour là ? je me maquille si peu. Je me regarde dans la glace comme quand j'étais petite, je cherchais ce que les autres pouvaient trouver de si affreux dans mes dents pour qu'ils m'appellent sorcière, je ne trouvais pas. Ce matin là, je me regarde mais je ne sais pas ce que je cherche. Je pense à la pièce de Pirandello :"Je ne me trouve pas".
Je regarde mes joues blanches, mon regard bleu, je ne me reconnais pas, je me reconnais rarement quand je me regarde. Du Rimmel à mes cils, du fard à mes paupières, du rose à mes lèvres, cela ressemble à une contine ... J'ai envie de faire un enfant.

Cette pensée a surgi comme cela, au détour d'un coup de crayon, inattendue. Je souris, je ne me crois pas ... Je souris, et pourquoi pas ...

Je ne dis rien, la pensée n'ose pas encore se formuler. Elle s'installe, se love, attend patiemment de grandir. Je regarde les jeunes mamans dans la rue, les bébés ... Je me sens prête. Il faudra lui dire, mon amoureux, est il prêt lui ? Je me doute que non. Mais il faudra lui dire ...

- J'aimerais arrêter la pilule - Pour quoi faire ? me dit il.

Silence, ma gorge est nouée par la peur, j'avance prudemment.

- J'ai l'impression que je m'empoisonne ... J'ai envie de laisser la porte ouverte ... à un accident ...

J'ai employé ce terme d'accident ... Ce ne pouvait être que ça, un accident qu'il lui faudrait accepter, je n'ose pas encore dire que c'est mon désir, je n'ose pas lui mettre la pression, j'essaye juste de lui dire que j'aimerais que soit possible ...

- Pourquoi pas ...

Sa réponse qui n'est ni un non, ni un oui. Il n'ose pas me dire qu'il ne le désir pas. je prend ça pour un oui, c'est tellement plus facile.

J'arrête de prendre la pilule. Désir de lui très fort, sensualité particulière, tandis que la possibilité de faire un enfant sublime mon acte d'amour, elle lui fait peur. Son désir de moi s'effiloche... Moi, je voudrais ! je voudrais le faire, qu'il soit déjà fait, qu'il en ait envie, que cela nous exalte ! C'est tout le contraire, cela nous éloigne doucement.
Les mots disparaissent, le désir devient tabou, le désir d'enfant, le désir de lui également.

Mais parfois l'espoir est permis. Mon cycle se déglingue, j'espère, le désir devient obsession. Le sang revient tous les mois et je pleure. Déception mais aussi soulagement de ne pas avoir à lui dire : " Je suis enceinte, j'attends un enfant, nous allons avoir un enfant, il y a quelqu'un dedans moi." Je sens sa peur tellement fort qu'elle devient la mienne aussi.

Parfois il me console, il me berce dans ces bras, mes larmes lui font mal. Il me dit :" Ce n'est pas le moment de toute façon, ça nous mettrais dans la merde."
Je ne dis rien, je pense : " ça te mettrais dans la merde." Il me berce, je me berce d'illusions ...

Autour de moi des femmes tombent enceintes... Pourquoi tombent elles et pas moi ?
J'entends si souvent : " Et vous c'est pour quand ?" Il dit : " Dans dix ans!" ça fait rire la galerie. Mon coeur se fissure à chaque éclat de rire.
Elles sont toutes épanouies, affolées, épuisées, elles me disent les inconscientes : "Ah tu verras quand ça t'arrivera!" J'aimerais répondre : "Je t'emmerde".

Tant de silence, nous brouillons les pistes, nous bougeons jusqu'à devenir flous. J'ai peur de tout, qu'il ne m'aime plus, de ne plus l'aimer, d'être laide, de ne plus exister. Je voudrais m'empêcher de rêver, m'empêcher d'espérer, je ne veux plus souffrir, je préfèrerais m'anesthésier...

C'est ainsi que tout à commencer, le début de cette faim. Il y a dix ans...