J'ai six ans, et je vais aller à la grande école.
Cette année là, mes parents choisissent de me donner une petite soeur. Je n'en veux pas. Je veux un petit frère, avec un zizi, qui grimpe aux arbres et a le droit de dire des gros mots.
Ma mère me met des chignons/ choucroutes sur la tête, des robes en vichy noir et blanc et des sandales avec des soquettes à col de dentelle.
Je leur dis que si c'est une fille, je la mettrai à la poubelle. Je crois qu'ils ne me répondent pas. Je pense qu'ils ne me croient pas. Je n'aime pas les filles, j'ai d'ailleurs toute une argumentation très étayée. Quand j'agite les lèvres, c'est mon père qui parle, c'est mon père qui me susurre les mots. Son rêve, c'est un garçon, un homme qui portera son nom et le transmettra.
Mon père est un héro. Je voudrais tant lui faire plaisir. C'est moi qui, dans les jeux, joue le gars. J'incarne à la perfection D'Artagnan agenouillé devant Milady. C'est moi qui grimpe aux arbres, qui dit des gros mots. J'ai des ardoises chez ma cousine qui connait l'interdiction et me fait payer cher son silence quand je dérape devant elle. Je lui prête Elisabeth, ma grande poupée aux cheveux roux, celle qui va si bien au coin quand je la punis. Je vais lui voler des gâteaux. Je sirote le fond des verres de vin dans la cuisine pour l'amadouer. Pourtant, et malgré tous ces sacrifices, aucun zizi ne me pousse.
Quand elle est née, c'était l'été. Mon père m'a amenée sous les fenêtres de ma mère. Il faisait un temps de juillet, un ciel d'azur pur. J'ai vu sa tête. Loin, loin. Elle portait ma petite soeur qu'elle tendait pour que je puisse l'apercevoir, et elle aussi avait un chignon choucroute. Je pense qu'elle était heureuse. C'est une mère à filles. Un garçon l'aurait désemparée. Je l'ai bien vu, quand mon fils est né. Elle ne savait pas s'y prendre.
Moi, il a fallu que j'improvise.