Lorsque je pense à 2001, d’abord je pense : les tours, onze septembre, world trade center… Et je me revois en cette après-midi qui aurait dû être comme une autre...

J’étais rentré tôt du bureau. Je ne sais plus comment j’ai su d’abord. La radio sans doute. Et puis la télévision ensuite. Moi qui ne regarde presque jamais la télévision, là, je m’y suis rivé. Il y avait l’événement en lui-même bien sûr mais aussi ce nouveau mode d’être des évènements désormais, le déroulement en direct. L’événement c’est aussi, voire surtout, la façon dont il s’inscrit dans les images et dans les consciences. Je me souviens du moment où Bilbo puis Taupin sont rentrés du lycée. Ils arrivaient avec les rumeurs informelles de la rue, ils se sont collés devant l’écran puis Constance est arrivée à son tour, nous étions là, tous les quatre, scotchés. Et nous ressentions un mélange de tristesse, d’anxiété mais aussi secrètement sans oser nous l’avouer une espèce de fascination devant l’énormité de la chose, devant la puissance du spectacle. Un film catastrophe bien plus dense que n’importe quel scénario hollywoodien, des réminiscences d’aventures à la Blake et Mortimer…

L’événement, ce qui apitoie, ce sont les morts, ces gens ordinaires pris au piège dans les petites alvéoles où ils travaillent comme des abeilles dans une ruche. Mais à l’aune du nombre des victimes il y a d’autres évènements bien plus terribles, crises et guerres, famines et génocides, générant bien plus de morts, mais ce ne sont pas les mêmes morts. Comme si certains, dans notre conscience occidentale, pesaient moins ! L’événement c’est une symbolique, c’est l’Amérique, l’arrogante maîtresse du monde, touchée en plein cœur.

La question que je me suis posée très vite est celle là: est-ce un accident de l’histoire, un épiphénomène certes spectaculaire mais sans conséquence durable, un soubresaut qui sera vite absorbé ? Ou bien est-ce plutôt le début d’autre chose, la marque d’une entrée dans des temps dangereux ?

Il faut laisser passer du temps pour s’en rendre compte. L’histoire ne se lit vraiment qu’à posteriori. Mais force est de constater que les années qui ont suivi n’ont fait qu’approfondir les dangers qui pèsent sur le monde. On aurait pu rêver qu’un tel avertissement spectaculaire soit l’occasion d’une prise de conscience, que les puissants de cette terre comprennent que la lutte contre l’aggravation des déséquilibres du monde était la seule vraie réponse et qu’il en résulte un modèle de développement un peu plus harmonieux, respectueux des hommes et des ressources menacées du globe.

Les tendances s’inverseront peut-être. Le pire n’est jamais sûr. Des prises de conscience globales peuvent intervenir. Peut-être… Il y a de quoi avoir une certaine anxiété pour l’avenir du monde. Sous quelles épées de Damoclès grandissent nos enfants ? Quel monde va-t-on leur laisser ?

Oui, de là où nous sommes, à 2001 + 6, on a bien le sentiment que c’est ce jour là qu’on est entré dans le nouveau siècle et ce n’est pas franchement de bon augure. Le vrai bug de l’an 2000 il est là !

Mais 2001 a aussi été l’année où j’ai commencé à m’intéresser de vraiment près au blogomonde. (Enfin on ne disait pas comme ça à l’époque, les blogs ça n’existait pas, on disait cyberdiaristes !). Et là je quitte cette grande histoire dans laquelle je sais que je ne peux rien (ou plutôt à l’égard de laquelle je n’ai plus le courage, l’énergie de penser que je puisse encore quelquechose, aussi modeste cela fut-il). De l’Histoire je passe aux petites histoires, les miennes et celles des autres, je me mets à les observer comme un entomologiste avec une certaine fascination. Je les observe s’écrivant, se dévoilant, se dérobant…

En novembre je lis « Cher Ecran » de Philippe Lejeune, un livre qui est une première plongée de terrain dans le monde de l’écriture diariste en ligne. Il présente le contexte de l’émergence de ce nouveau média, il donne des extraits de quelques sites et surtout s’accompagne du propre journal de lecture de Philippe Lejeune donnant au fur et à mesure le cheminement de ses découvertes. L’approche n’est pas préconçue, elle ne juge ni n’apprécie à l’aune d’un quelconque discours théorique, elle est faite de coups de cœur mais aussi d’agacements, d’étonnements et de questionnements. La démarche me passionne assez et me donne des idées. J’ai envie d’étudier moi aussi ce monde là : Qui sont les diaristes, comment évoluent-ils, comment écrivent-ils, quels sont les questions qu’ils se posent ? Ça me paraît un beau sujet : l’émergence du neuf (internet) sur des pratiques éprouvées (le journal personnel) et c’est une pratique j’en suis convaincu qui va se développer (sans que j’imagine d’ailleurs à quel point !). J’en fais un terrain d’étude sans enjeu car je ne suis plus dans le temps de ma vie où on a envie de se lancer dans une thèse, je fais ça en amateur et en curieux, mais non sans sérieux. Je dresse des listes, je me fais même une mini base de données de sites, j’en lis certain, j’en parcours ou en hume beaucoup d’autres, j’en vois qui naissent et d’autres qui disparaissent. La matière est encore assez limitée et, à partir des cercles existants comme la « Communauté des Ecrits Virtuels », on peut avoir déjà un assez bel échantillon représentatif d’un ensemble qui ne dépasse pas quelques petites centaines dans l’ensemble du monde francophone. Mais derrière cette approche d’observateur je sais que lentement et souterrainement chemine autre chose : l’envie d’y aller moi même.