J'ai toujours considéré la psychanalyse avec la plus grande circonspection ; car si la théorie freudienne est admirablement construite et passionnante à étudier, elle souffre d'un gros défaut épistémologique : à cause de sa structure même, il est impossible de concevoir la moindre expérience permettant de vérifier sa validité ou sa nullité. Cela n'ôte rien à son pouvoir thérapeutique ; cela implique juste que les psychanalystes se reposant peut-être sur des théories fumeuses, il vaut mieux ne pas prendre pour parole d'Évangile tout ce qu'ils racontent.

Heureusement, mon thérapeute a parfaitement conscience de ces limitations et n'est absolument pas dogmatique - bien qu'au vu de son grand âge et à sa façon de citer les Saintes Écritures en allemand dans le texte, je le soupçonne d'avoir fait ses études avec Dieu en personne. Et les choses se passent à merveille ! Car la parole guérit. Peut-être par ses rares interventions le thérapeute aide-t-il un peu le processus ; mais même sans cela, la parole guérirait malgré tout.

Nous avons tous des idées inavouables tapies au fond de notre conscience, des pulsions moralement ou légalement répréhensibles, des sentiments qui nous paraissent honteusement inappropriés aux circonstances, des attirances sexuelles « contre-nature » (chacun mettra ce qu'il veut derrière ce terme), etc. Je suppose que les personnes équilibrées gèrent ça très bien. Moi non. J'ai peur de ces idées ; peur qu'elles m'échappent au milieu d'une conversation et que mes interlocuteurs effrayés par tant d'abjection me rejettent ; peur qu'elles soient trop fortes pour que j'y résiste et que je cède à des pulsions monstrueuses. Alors je dépense une énergie considérable à les enfouir. En pure perte, évidemment ! Car une pulsion ne se laisse pas facilement exiler hors de la vie psychique, et quand bien même on y parvient, elle ne tarde pas à ressurgir sous une autre forme : maux de tête, douleurs abdominales, palpitations...

La première vertu que je découvre à l'analyse est de ramener les problèmes dans l'univers du langage - donc dans un univers sur lequel j'ai prise. Allez donc négocier avec une tachycardie ou avec un spasme intestinal ! Tandis qu'une fois verbalisé, tout problème devient soluble. L'autre vertu est de me permettre d'extérioriser ces idées inavouables, de les confier à un tiers qui me les montre ensuite « de loin », comme si elles étaient étrangères ; et de découvrir - ô surprise ! - que ces idées n'ont en fait rien d'effrayant.

Vous n'imaginez pas la sérénite que cela apporte.

N'empêche, je donnerais cher pour lire le carnet que mon psychiatre a couvert de notes dans mon dos pendant ces deux années où j'ai déblatéré sur son divan.