Mes nuits sont hantées de réveils réguliers. Et pas uniquement lorsqu'une dispute éclate. Il arrive que je me réveille sans raison apparente. Je voudrais me lever, sortir de la chambre, m'occuper sans risquer de réveiller mon frère qui, lui, dort paisiblement.
Alors j'évalue mentalement ma position dans le lit, dans la pièce (où l'obscurité est totale), je repousse les draps et investis la chambre. Objectif : la porte.
Commence alors un véritable parcours du combattant. J'avance à tâtons pour ne pas me cogner, et escalade les obstacles que je rencontre. Un autre lit, m'informent mes jambes qui évoluent sur un matelas. Tiens c'est drôle, il n'y en a qu'un pourtant le jour... ça, c'est sûrement la commode, c'est plus dur et plus haut et des objets sont posés dessus, qui font mal sous les mains. Normalement il y a un mur derrière, mais je ne le rencontre pas. Alors je redescends de l'autre côté du meuble. Je marche. Trouve un mur. Essaie de le suivre. Mais je me cogne ! Changement de direction. Encore le lit. Zut, j'ai touché le petit frère, et il a grogné... Si je le réveille, les parents vont débarquer dans la chambre pour voir ce qu'il s'y passe, et je vais passer un sale quart d'heure.
Je me recouche haletante, et me rendors comme je peux...

Les légendes familiales conserveront le souvenir du somnambulisme du petit frère (que je n'ai jamais surpris pour ma part). Quant à mes randonnées nocturnes, elles resteront confidentielles.

*

Le petit frère grandit. Il n'est plus si coopératif, sa personnalité s'affirme et, ô rage, ô désespoir, il ne m'obéit plus comme avant ! Qui plus est, lorsqu'un différend nous oppose, Maman prend sa défense... Je me sens incomprise, rejetée. Alors je materne les chats.
Ça ne s'arrange pas à la maison. Le voisinage de mes grands-parents semble brouiller les relations aussi. Maman et Mamie ne se supportent plus. J'entends parfois ce que je ne devrais pas. Il m'arrive même de répéter à l'autre les paroles malheureuses de l'une.
Je porte un attachement particulier à ma grand-mère, qui m'a accompagnée les deux premières années de ma vie, quand Maman travaillait. Elle n'est pas commode, la dame, mais je me sens bien avec elle. Nous avons nos marques, je sais précisément ce qui lui convient et ce qu'elle ne m'autorise pas. Elle n'aura que rarement l'occasion de me sermonner. Avec Maman par contre, je me montre jalouse de mon petit frère, autoritaire, inflexible. Et avec Papa, c'est l'affrontement régulier. Aussi têtue que lui, aussi borné qu'une gamine, le cocktail est détonnant.
On dit que je lui ressemble.