Ils sont distribués à l'école par notre maîtresse qui nous a eues deux ans de suite. Je l'aimais bien avec son chignon gris et blanc sévère, et sa figure qui est restée massive dans mon souvenir. Madame Shpielbergue, même si je sais bien que ça ne s'écrivait pas comme ça, c'était une prononciation évidente. Nous apprenions que les arbres donnent des fruits, et les fleurs du cerisier, tout comme les noyaux de cerise prenaient une couleur tout autre tout à coup. Florence, ma voisine de pupitre et rivale, copiait sur moi et traçait rageusement une ligne de séparation sur la table, pour m'empêcher de faire dépasser mon coude de son côté.

Il y a beaucoup de vêtements vermillon dans mon souvenir. Dire avec certitude qu'ils datent de l'année 1967 est totalement impossible. Je n'ai ni photos, ni journal qui ait recensé pour moi toutes ces années soixante là, et je ne fais pas un travail scientifique de reconstitution pour ces ricochets. C'est peut-être cette année-là, ou la précédente que j'ai fait mon premier voyage en avion, avec mon grand frère, pour nous rendre à Barcelone invités par la famille d'une de nos jeunes filles au pair, et émerveillée, j'ai été conviée à voir la cabine de pilotage, j'en garde mon regard ébloui sur la mer du ciel et une sensation extraordinaire de sécurité qui me servira désormais à vaincre toutes les frayeurs liées au danger potentiel de ce mode de transport.

Le petit ensemble vermillon, pantalon et veste, m'avait déçue. C'était un cadeau de ma mère, un cadeau de mère à sa fille, qui aurait dû aimer cette offrande entre femmes, cet hommage à ma féminité, un clin d'oeil de complicité féminine que je n'ai pas su recevoir, que j'ai pris de travers, qui m'a braquée. Pourtant, je l'ai porté ensuite cet ensemble, un week-end chez des amis des parents, à la campagne, dans une jolie maison de pierres avec un verger, ce n'était certainement pas une tenue de campagne, mais elle m'a laissé cette impression d'être pimpante, et d'avoir appris à faire bonne figure partout, où que je sois. Mais peut-être ce souvenir est mal daté, peut-être avais-je onze ans et non pas neuf ? Si c'était le cas, dans cet ensemble vermillon, je me sentais comme une très petite fille, une petite fille de neuf ans, qui ne sait pas dire ce qu'elle pense, qui ne doit pas faire de caprice incompréhensible, et ne doit surtout pas faire de la peine à sa mère comme ça. On ne refuse pas les cadeaux.

En Catalogne, c'était la fête du petit Jésus, avec des spectacles que pourrait me rappeler mon neveu aujourd'hui, mais son récit n'effacera jamais mon souvenir tronqué, cristallisé sur la fascination des flammes de l'enfer à moins que cela n'ait été des feux de la Saint-Jean, dans une histoire à laquelle je n'ai pas tout compris visiblement, mais qui m'a ravie par sa beauté. Rien d'effrayant, seulement un spectacle visuel trop beau, sans morale ni message. A neuf ans, je restais ouverte, sans jugement. Seulement, confusément déjà, j'aurais voulu avoir mon mot à dire et trouvais ça très difficile.