Aux premiers jours du printemps, âgée de 27 ans, ma mère accouche de son troisième enfant... en trois ans. Une fille. Je ne me souviens pas de la naissance, mais du baptème dans une église un peu bizarre, à quelques pas de l'appartement. Il y a toute la famille élargie, des cousines, des oncles et tantes. Sur l'avenue seulement quelques voitures. Je crois que la précision de mes souvenirs directs a été soutenue par un des ces films super 8 qui allaient jalonner notre histoire d'enfance. On m'y voit gambader avec mon petit frère, habillés en jumeaux d'un petit blazer bleu marine.

Puisque je suis entré à la maternelle à trois ans, c'est donc cette année-là. L'école est juste au coin de la rue, à 50 mètres, et ma mère peut me voir dans la cour depuis le balcon de l'appartement. Je ne me sens pas loin d'elle.

Dans la classe, derière mon petit pupitre, je fais des dessins. J'observe les autres. Il faut lever le doigt pour parler... Je joue à la pâte à modeler Play-Doh, au goût très salé. Jaune, rouge, bleu, dans des petits pots jaunes avec couvercle de la couleur correspondante et cette odeur bien particulière quand on les ouvre. Souvenir olfactif, encore, celui du parfum capiteux de ma maîtresse. Une belle femme, je m'en souviens clairement. Maquillée, très féminine, opulente, et peut-être troublante pour le tout petit que je suis. C'est surprenant comme elle a marqué ma mémoire dans cet aspect de féminité.

Je serais bien incapable de décrire d'autres évènements. Aucun souvenir précis ne m'est resté. Pourtant... ne se serait-il pas passé quelque chose dans ces années de toute petite enfance ? Sinon, comment expliquer l'incoercible émotion qui me saisit lorsque je vois ces ribambelles de tout-petits aux abords des écoles ? Je ne sais pas si un jour je parviendrais à trouver la source de ce mystère qui me fait perler les larmes au bord des yeux...

Souvenir enfoui d'un paradis perdu ?