A la grande école, on perd de vue les garçons.
Avec les filles, je me retrouve dans l'école du même nom, avec un tablier bleu à prénom brodé au point de chaîne.
L'école, c'est ma passion.
La cour ombragée de platanes, j'y écorche une fois mon genou jusqu'à tourner de l'oeil tant la plaie est profonde.
Il me reste une légère boîterie des temps immobiles. Plus étrange est la longue cicatrice qui barre ma cuisse sur toute sa longueur et me tatoue de violet. Je la caresse du doigt, toujours étonnée de ne rien sentir à cet endroit. La peau si douce s'y transforme en une matière indéfinissable qui n'est presque plus moi.
Mes souvenirs sont des goûts et dégoûts. Je n'aime pas la viande, j'ai peur d'avaler par erreur une bouchée de "gras", substance effrayante et molle qui me donne envie de vomir et que je recrache quand les adultes ont le dos tourné. Odeur écoeurante d'une potion rouge sang qu'on me fait boire pour lutter contre "les vers". Des vers dégoûtants dont j'ai appris qu'ils sortaient par le trou du derrière. On les attrape en mangeant des bonbons.
Les colliers de bonbons que je croque de mes nouvelles dents aux bords dentelés.
La petite souris passera si ma dent tombe. Elle tremble mais ne tombe pas.
Maman me dit de mettre un fil autour de ma dent, de l'attacher à la poignée de la porte et de tirer d'un coup sec.
Je le fais en tremblant autant que ma dent. Ça saigne.
Maman a toujours des idées barbares.
Mais comme elle est belle. J'aime la regarder se maquiller, j'aime ses vêtements et l'odeur de sa poudre Lancôme dont le boîtier noir s'ouvre sur un joli miroir.
A la grande école, j'apprends à lire. C'est très facile, je crois que je savais déjà.
Plus fort : j'apprends à écrire avec un porte-plume trempé dans l'encrier encastré dans le pupitre.
Autour de l'encrier, il y a un plastique pour protéger le bois. Un oiseau y est dessiné.
Je forme bien les lettres. J'aime passionnément écrire.
Je travaille bien : à moi les bons points et les compliments.
Ma mère et mon papy sont fiers.
Soupirs d'aise.
Alors dès que je rentre chez moi, je fais l'école à mes poupées alignées en rang.
La maîtresse, c'est moi !
4 réactions
1 De meerkat - 08/03/2007, 12:04
Chouette, je me retrouve au même âge, cela fait chaud au coeur : cicatrices sur le bras au lieu de la jambe, dégoût du gras et de la viande, ver solitaire (lié à la viande ce qui explique aussi le dégoût et heureusement pas aux bonbons !), porte-plumes et le top : la petite souris sous l'oreiller...
2 De Traou - 08/03/2007, 15:24
Et je me souviens de l'odeur de l'encre violette dans les encriers de porcelaine, que la maitresse versait d'une grande bouteille...
3 De samantdi - 08/03/2007, 21:16
Meerkat : "le ver solitaire", rien que le nom m'effrayait, et cette idée qu'il pouvait sortir par le trou du derrière... fascinant, répugnant. Toutes ces sensations exacerbées de l'enfance me reviennent avec ce Ricochet. Mais je ne me souviens pas de l'odeur de l'encre, non, Traou, plutôt d'une bêtise qui consistait à émietter du buvard dans l'encrier, ce qui faisait un dépôt qu'on allait repêcher au fond avec la plume... Ah, ces plumes rangées dans des boîtes, le plaisir d'en insérer une toute neuve dans les encoches !
Lire et écrire, dès le début, ça a été une passion.
4 De Réjane - 15/03/2007, 13:06
L'odeur de l'encre me revient aussi, puis celle de la craie, des livres dans la bibliothèque vitrée au fond de la classe, du couloir avec son grand lavabo au milieu et ses petits robinets et ses torchons humides ...
Elles étaient tellement différentes nos classes des années 60 de celles d'aujourd'hui !