J’ai moins quelques heures: je ne veux pas sortir, je fais de la résistance. Je suis bien au chaud dans le ventre de ma mère. Dehors ce n’est pas le monde que j’avais commandé, je ne suis pas adaptable à celui-là.

Je ne veux pas sortir, elle non plus elle ne veut pas que je sorte, elle a peur, peur que ça se passe mal, peur d’y perdre sa vie, peur que ce soit une deuxième fille.

Je vais rester là. Et d’abord, pourquoi je sortirai? Personne ne veut de moi. Je ne suis pas celle qu’on attendait. Je suis celle qui est arrivée en plus, en trop. Maman a donné la vie à une petite fille 13 mois avant. Premier enfant désiré, qui devait être aussi le dernier. Aînée de 18 garçons et filles, elle en a torché des mômes, essuyer des morves, bercé des bébés geignards. Un père saoulard, une mère soumise et débordée. Elle s’était bien juré qu’elle ne ressemblerait pas à ça. Juste un enfant, pour l’aimer, pour concrétiser une union hasardeuse qui la sortirait de sa condition sociale. Et puis quand le médecin lui a dit qu’un autre enfant mettrait en péril sa vie, elle s’est sentie soulagée. un enfant, c’était ce qu’elle voulait.

Ils ne me donnent pas le choix. Je ne veux pas sortir? je fais des simagrées? Ils en ont maté des pires que moi. Je ne veux pas aller jusqu’à eux? Ils viendront jusqu’à moi, me cueillir au beau milieu de ce ventre que je ne veux pas quitter.

Aie! cette lumière agressive, mais où je suis tombée? Retournez-moi à l‘expéditeur, je ne ressortirai que lorsque vous m’aurez trouver le monde qui me convient.

Ils lui ont ouvert le ventre pour me sortir de là. Arrachée de ma bulle, je n’ai eu de cesse par la suite, de m’en construire une autre pour m’y cacher des autres. Spectatrice d’un monde qui ne tourne pas tout à fait comme je le voudrais.

Ma mère, épuisée, m’aime quand même, m’aime déjà. Même silencieuse, même lointaine, même sans le dire, même sans le montrer, elle m’aime. Pas avec les mots, pas avec les gestes, juste avec le coeur.

Mon père, déçu, incapable d’aimer, m’impose la couleur de ma future vie, et me donne le prénom d’un garçon, pour ne pas oublier qu’enfant non désiré, je ne suis pas non plus l’enfant qu’il aurait aimé toléré.

- J’ai 1 jour. Misère, dans quel monde de fou j'ai atterri ? Ils défilent tous dans ma chambre admirer le bébé élu plus beau bébé de la maternité! Je veux la paix, et on vient me prendre en photo. Je vous avais dit que je ne voulais pas sortir.