Je n'aime pas l'hiver, ou plutôt je n'aime plus l'hiver. Ou alors il faudrait ne rien y faire.

A l'aube d'un demi siècle, je ne sais pas encore si je suis moi ou une autre, inventée de toutes pièces, aux réactions conditionnées. Difficile de se faire une idée par soi-même et l'image renvoyée par les autres est trop subjective.
Fille du printemps, je me sens décliner. Ma voix, entâchée par trop de cigarettes, le souffle court, ne m'obéit plus au doigt et à l'oeil, comme avant. Je conduis plus lentement. Je me conduis plus décemment. Parfois, cela me plait, d'avoir réussi, par tant d'efforts voulus ou non, à me discipliner, à me compartimenter. Parfois, aussi, me vient l'idée d'envoyer tout promener. Au hasard, d'un tournant, sur la route, me dire que finalement, je vais continuer, mais ailleurs. Laisser tout. Ne rien conserver. Abandonner cette vie douillette et me confronter à l'aventure. Recommencer. Renaître.
Et puis, deux tournants plus tard, me viennent des langueurs. Vivrais-je sans voir mes enfants? Combien de jours, de nuit, sans entendre leur voix, leurs pleurs? Pourrais-je boire un chocolat sans apercevoir la bouche de ma fille, cette grosse bouche aux lèvres roses, aspirant son lait, le matin? Pourrais-je chanter, danser, respirer comme si de rien était sans les yeux de mon fils, sans sa tignasse mal peignée? Ces deux-là, chacun à sa manière, je le sais, pâtiraient de mes abandons. Mon mari aussi qui tourne et retourne quand, parfois, je suis malade. Son sourire, ses soupirs, quand je vais mieux.
De ces langueurs, mes mains ne retiennent que le retour au bercail. Elles tournent le volant et remettent la vie dans le droit chemin. Là où, finalement, j'aime à pointer mon nez. Là où, aussi, je suis aimée.
Et même si cette aventure n'est pas digne d'être contée, tant elle est morne et disciplinée, je crois que j'y suis à l'aise. A l'aise d'avoir accompli ce petit miracle sans y être prédisposée. A l'aise d'être cernée.

Mes grands espaces sont ridiculement petits. Mais j'ai des projets. Aller voir la mer, sentir les embruns sur ma peau, respirer l'iode et m'en emplir les poumons. Chasser la brume qui, parfois, pervertit mon âme. Renâitre mais en gardant mes constructions instables. Un beau challenge pour une fille du printemps qui ne sait pas être, sans faire table rase de sa vie.