Une année toute noire ou toute blanche, passant de la lumière la plus vive à l’obscurité la plus tenace, de la légèreté au poids des évènements les plus lourds, du rire aux larmes amères.

Début d’année fatiguée et mal à l’aise dans mon corps. Je décide d’agir, et quand je veux, je peux ! Quatre mois plus tard, j’affiche 12 kilos de moins, une forme et un moral incroyable. Je me sens belle, légère, de l’énergie à revendre. Ca tombe bien, il y a quelqu’un auprès de moi qui en a besoin, de cette énergie. Un ami cher qui subit une lourde opération suivie d’une longue convalescence. J’essaie de lui insuffler un peu de ma force, un peu de ma gaieté, d’être là auprès de lui, si fragile.

L’été me voit active, sportive, sur tous les fronts. La Crète, merveille dans laquelle je me fonds. J’enchaine le catamaran et le kayak, le vélo dans la montagne et la planche à voile, les randonnées et les soirées bruyantes. Je bouge, je danse, je nage, je pédale, je flirte un peu, sans conséquence, c’est délicieux. J’enchaine sur la Bretagne avec autant d’entrain. C’est l’été le plus lumineux depuis longtemps.

Je crois que sans le savoir j’emmagasine des forces, pour pouvoir affronter une suite dont je ne me doute pas.

11 septembre au matin : j’assiste à l’enterrement de B. Une "nature" comme on dit. Je l'aimais bien. Des années de bataille acharnée contre le crabe. Elle en avait gagné quelques-unes, a perdu la guerre.
11 septembre après-midi : seule au bureau, la radio en bruit de fond. Un flash spécial, inimaginable. Je fonce au sous-sol où je branche un de ces moniteurs minuscules qui servent à contrôler les appareils de projection que ma boite commercialise. Tout l’après-midi, enfouie dans cette cave, j’assisterai incrédule, comme des millions de gens, à la destruction de deux tours en flammes pas plus grandes que mon petit doigt.

12 septembre. Comme beaucoup, moi qui ne lis que rarement les journaux, j’en achète un ce matin, pour m’assurer encore que je n’ai pas rêvé cette sale journée. Au détour des pages pleines de flammes m’attend un drame pour moi seule. Ils ont l’air bien dérisoires, ces articles de la fin de Libé, réduite à la portion congrue ce jour-là, qui osent parler d’autre chose. D’une vie quotidienne entre parenthèses. De publicité malvenue. De petites annonces imbéciles. Et pourtant là, dans un encadré noir, un nom me saute aux yeux, me coupe le souffle plus que toutes les âmes mortes dans l’évènement mondial. Ce nom-là c’est celui de mon ami Jack. Le filet noir m’informe que lui aussi s’est envolé avec violence pour ailleurs sans que j’en sois prévenue.

Le 12 septembre 2001, une vieille dame m’a tenu la main dans le jardin public où je m’étais réfugiée pour pleurer à l’heure du déjeuner. A cause de Jack. A cause des tours. A cause de tant d’absurdité.

Quelques semaines plus tard, je perd un autre ami cher. Parce qu’il m’a demandé de façon totalement inattendue ce que j’avais l’intention de faire pendant les 30 prochaines années. Parce que cette proposition – puisque c’en est une, je finis par le comprendre – me laisse bouche bée en tout premier lieu, avant de la refuser, aussi doucement et affectueusement que je le peux. Mais l’affection n’est pas grand-chose en ce cas. Je ne peux rien à cela.

Un peu après, je rencontre Choul. Qui me dit avec cette petite lueur amusée dans l’œil que je ne vais pas tarder à adorer : « Il ne faudrait pas qu’on tombe amoureux, tous les deux… »

Drôle d’année. Drôle d’année pas si drôle. Noire et blanche.